Lorsque Bigg Jus cabote aux côtés de Mr. Len et El-P, Company Flow est encore inconnu au bataillon. A l’origine d’un des premiers et meilleurs morceaux du groupe (8 steps to perfection), Jus n’a pas fait long feu au sein des Co-Flow. Il n’a pas pour autant lâcher l’affaire hip-hop, puisqu’il a fondé avec Peter M Lupoff et Fiona Bloom l’excellent label indépendant Subverse Music (Mf Doom, KMD, Rubberoom, Scienz of life, Source of labor…). Jus est un travailleur aliéné, enchaîné aux racines du hip-hop. Mais ses chaînes sont loin d’être un frein à la création. Elles sont plutôt comparables à des veines, qui émergeraient d’une peau boursouflée de beats tordus et de mélodies décharnées.
Le rap cérébral de Jus (aka Lune TNS) se déguste comme une drogue très forte. Proche de l’atmosphère de Funcrusher Plus, Lune TNS grouille de plantes à fleurs sinueuses aux teintes très obscures, dont les graines auraient donné naissance à un réseau de rythmiques éplorées. L’homme vogue ici à mille lieux du hip-hop traditionnel. Le patchwork insane de ce Mc producteur nous offre bien des occasions de s’extasier devant ses déviances arythmiques, comme avec Tongue sandwich ou Heavenly rivers intro, où il arrête brusquement son flow, pour nous rediriger vers un bain de samples urbains intrigants qui bourdonnent majestueusement. Avec ses synthés irrationnels (le remix de Gaffling whipe) et sa voix nasillarde, Bigg réussit à dresser un cosmos aberrant, où les samples de voix féminines sont distillés avec parcimonie, où les violons sont écrasés avec fracas. Déstructuré au possible, le hip-hop new-yorkais de Jus semble être orchestré de façon incohérente, comme sur cette nouvelle version de Plantation rhymes (on retrouve ici pas mal de titres du 12′ Plantation rhymes), où il amoncelle un nombre ahurissant de samples, tout en noyant sa voix dans des nappes bringuebalantes Qu’il s’agisse de l’agencement déviant de I Triceratops ou des rythmes torves de The Story entangles, Lune TNS déroge totalement aux règles du hip-hop, tel que l’auditeur lambda le perçoit aujourd’hui. Son cocktail sombre est là pour déranger, pour diffuser un maquis sonore belliqueux, pourvu d’appendices monstrueux qui ne cessent de grandir dans nos tympans.
A force d’écouter Lune TNS, on se dit que c’est vraiment une bonne chose que Bigg Jus se soit barré du bateau Co-Flow. Sa nouvelle embarcation vaut vraiment le détour. Essayez donc de grimper à bord, et laissez-vous hanter par ses compositions infernales. Du hip-hop de taré.