Pouvez vous revenir sur votre parcours de réalisateur ? Qu’avez vous fait avant Reims 74 ?
J’ai travaillé en prison avec des détenus au centre pénitentiaire de Laon pendant quatre ans, j’ai monté un atelier de production, j’ai fait venir des réalisateurs. J’ai fait un documentaire à Roubaix qui s’appelait Mémoire de la Cité sur le plus grand centre industriel textile suivi d’un autre documentaire au Népal sur l’autisme touristique, juste après le coup d’état et le massacre de la famille royale. Les touristes faisaient comme si de rien n’était, alors qu’il y avait des explosions partout. Et juste avant Reims 74, j’ai réalisé Cinéxotic un documentaire sur les salles de cinéma affiliées aux communautés d’immigrés – égyptiennes, hindoues, maghrébines, iraniennes, turques ou asiatiques – dans le Paris des années 70-90. Cela montrait comment les vagues successives d’émigration nous ont amené leur propre cinéma populaire.
Avez-vous avez des méthodes de travail particulières, comment travaillez vous en amont ?
Je rassemble beaucoup de documentation, je rencontre énormément les gens avant. Comme je l’ai fait sur Reims, j’essaye de réunir des gens et de générer une discussion entre eux plutôt qu’un entretien.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un documentaire sur la musique ?
Je connais cette histoire depuis que je suis môme, j’ai un frère et une sœur ainé, il y a à peu près huit ans d’écart entre nous, c’est ce qu’ils écoutaient comme style de musique, et moi à l’époque j’habitais à Langues, à 40km de Reims et ce scandale là, même gamin j’en avais beaucoup entendu parler et ça m’avait beaucoup fait rire. C’était devenu une espèce de mythe quand j’ai commencé le film dans la région, les gens pensaient que c’était une légende, que ça n’avait pas eu lieu. Quand j’ai lancé le projet il y a trois ans, on n’arrêtait pas de nous bassiner avec la religion, qui prenait selon moi une importance démesurée dans le débat public. Cette anecdote m’est revenue en tête, je me suis dit que c’était quand même une histoire formidable. Du coup j’ai lancé un appel à témoins dans la presse locale et c’est par la suite que France 3 m’a contacté.
Qu’aviez-vous en tête quand vous avez fait ce film ?
Ce qui m’intéresse avec cet événement, c’est qu’il est révélateur de ce qui se passe dans la société, et là, en 1974 c’est le premier choc pétrolier, historiquement il y a une page qui se tourne. C’est les derniers feux du mouvement hippie, et juste après c’est le punk qui déboule, c’est la fin des utopies de l’époque, et en même temps, c’est un moment charnière dans l’histoire de la musique, ce sont les prémices de l’électro, avec la musique synthétique allemande. Ca clôt aussi une histoire sociale, on commence aussi à parler du chômage à partir de ce moment là. Ce sont les prémices de ce que l’on vit actuellement, on commence à parler de la crise et depuis on n’en est jamais sorti.
Dans le documentaire, vous interviewez le claviériste de Gong sur les méthodes d’enregistrement de Tangerine Dream. Etait-ce important pour vous d’introduire dans le reportage la spécificité de cette musique ?
Totalement, c’était important de parler de la matière musicale, comment on arrange, comment on mixe, comment on compose. Cela rejoint cette manière de faire communiquer les pages sociales et musicales entre elles, et c’est ce qui m’intéressait. En ce qui concerne le Krautrock, Lutz Ulreicht d’Agitation Free me disait qu’en Allemagne, il était né du rejet de la jeunesse pour leurs parents qui avaient été nazi.
La présence de Richard Bronson dans le film est intéressante, il signe à l’époque Tangerine Dream sur son label Virgin Records. Etait-ce important pour vous de montrer le décalage entre ce qu’était l’industrie musicale à cette époque et ce qu’elle est devenue ?
A l’époque c’est encore de l’underground, et on sent que c’est la fin du truc. Deux ans après, il est déjà dans une stratégie commerciale. Quand on voit Bronson dans le film, il n’est pas encore un industriel. À ce moment là de l’histoire, la musique n’est pas que de la musique, c’est une véritable contre-culture liée à un mouvement politico-social utopique et libertaire. A ce moment là, la musique avait la volonté, si ce n’est la capacité, de changer l’organisation sociale et, par extension, de changer le monde.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les choses se sont diversifiées, à l’époque la musique était encore associée à de nombreuses causes. A partir des années 80, on voit que les sportifs prennent le relai, il y a une diversification des points d’identification de la jeunesse. Des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, c’est une période-charnière, la musique est encore synonyme de révolution et porteuse de changement. A partir des années 80, c’est devenu moins fédérateur.
Malgré cela, ne trouvez vous pas que l’on retrouve un peu de l’esprit de ce concert dans les mouvements de rave des années 80 ?
Pour moi, les free parties sont le prolongement de ça. Dans la trance et la psy-trance, il y a beaucoup de samples repris de Tangerine Dream, au niveau des nappes notamment. L’album de Gong avec Tim Blake remixé par The Orb, certains morceaux de trance Goa également. L’esprit des Free Party en est la suite logique, moins politisée car plus hédoniste.
Quelle était l’idée de cette longue reconstitution à la fin, qui essaye de reconnecter les souvenirs des gens ?
Le fait visuel m’intéressait, et puis l’idée du film est d’évoquer le concert, je trouvais ça bien de la remettre dans le contexte. J’aimais l’idée de passé et de présent qui se mélangent à travers des témoignages, je la trouvais émouvante pour le téléspectateur et en même temps pleine de sens.
Quels sont vos prochains projets ?
Je prépare un documentaire sur le Festival Punk à Mont de Marsan qui est déjà bien avancé. Dans l’idée, je voudrais faire un triptyque avec Reims, Mont de Marsan, et enfin Auvers sur Oise en 71 avec Grateful Dead. L’idée, c’est de faire un trajet sur l’underground musical en France du psychédélisme aux prémices de l’électro, jusqu’à l’arrivée du mouvement Punk, avec son premier festival qui a eu lieu en France.