Le lancement (sur une population spécifique d’amateurs de pop raffinée) de Belle and Sebastian s’est d’abord fait par le bouche à oreille. Des journaux spécialisés s’excitaient sur ce groupe renversant et auteur d’un premier album mythique et introuvable : Tigermilk. Alléchés, on attendait cependant d’écouter les prodiges pour juger sur pièce. De fait, on s’est mangé B&S avec leur deuxième album, l’excellent If you feeling sinister ; sans une faute de goût et à la fraîcheur tenace qui toucha deux cibles : celles des adolescents déprimés et esthètes friands de buzz anglo-saxon mais aussi, avouons-le, la cible des amateurs de pop légère et d’attitude décalée (à la manière des Residents). B&S intriguait par son nom, sa pochette agressivement rouge garnie d’une nouvelle et de paroles proches de la bibliothèque rose, et enfin, par le refus viscéral du groupe d’être identifié dans les médias. Tant d’allégeance à la musique et de pose atypique fit son effet sur de nombreuses personnes impressionnables.
La fixation et le mystère B&S se confirmèrent avec le troisième album tout autant racé et identiquement codifié (même charte graphique et cahiers des charges musicaux), mais un poil en deçà du prédécesseur, car tout de même proche de la copie conforme. Cependant, si le rock est une religion, alors oui, on peut dire que B&S est de ceux qui ont provoqué les plus intimes dévotions de ces cinq dernières années. Mais comme ce clergé est éclaté en une multitude de chapelles, les vrai-faux jeunes Ecossais qui vivent et enregistrent d’ailleurs dans une église, prêchent certes pour une maigre paroisse mais une paroisse fanatique. Car quoi qu’il fassent ou disent (si un jour ils se décident à s’exprimer), ils sont dorénavant disséqués, commentés, épiés. Dans ce contexte, il était normal que ressorte l’introuvable Tigermilk : par justice pour les fans et par principe pour tous les passionnés de rock aux besoins irrationnels, pour qui la question de savoir s’il est aussi bien que If you feeling sinister était aussi naturelle que de respirer.
Tigermilk le primus opus de (Saint) B&S est le disque typique qui ravit les fans sans emmerder les autres. On y trouvera la genèse des tics et des symboles du groupe établissant son concept infantile qui plaît tant ; mais musicalement, rien de fracassant ou de bouleversant.
Des chansons inoffensives et plates qui s’écoutent sans émotion mais dont se distinguent cependant le magnifique The State I am in et le sautillant My wandering days are over. Car Tigermilk est accessoire : il sent la maquette et le manque d’inspiration. Une chose est sûre, ça reste du B&S dans le son et les grilles d’écritures. Conclusion : il y a fort à craindre qu’il n’y ait plus rien à espérer de ce groupe qui a tout dit sur son deuxième album. Et que toute velléité d’extension de culte risque de se prendre un sacré coup de tatanne, ne serait-ce que pour le ridicule Electronic renaissance (troisième titre), qui réussit à faire passer Les Ryhtmes digitales pour les Beatles, alors que Tigermilk date tout de même de 1996.