Ils sont frère et sœur (lire complices) -lui, 17 ans, fait du violon (sur un Stradivarius de 1727) ; elle, 22 ans, du piano. Anciens élèves de l’Académie Rimski-Korsakov, spécialisée dans l’enseignement pour petits génies, ils ont remporté l’un comme l’autre des prix dans divers concours internationaux prestigieux. Bref, ils sont beaux, jeunes, brillants et intelligents. Ils sont ouverts à toute proposition pour enregistrer un disque. EMI a pensé à (pour) eux. La maison de disques a créé une collection pour permettre aux jeunes interprètes de commencer une carrière discographique dans les meilleures conditions possibles. Voilà la belle histoire. Place à la musique. Leur répertoire se veut complet ; on peut lire ainsi dans le texte de présentation : « les programmes de récitals devraient permettre d’apprécier non seulement l’endurance, la dextérité ou la résistance nerveuse des interprètes, mais avant tout leur détermination intellectuelle ». Chouette alors, ils ont réfléchi à ce qu’ils jouent ! Permettez-moi d’y voir une nouvelle tendance de la musique classique, un penchant pour le musically correct. Avant on voulait du virtuose, du plein les yeux, maintenant on voudrait de la « détermination intellectuelle ». En définitive, rentrez chez vous les Heifetz, les Szigeti, musiciens d’un autre âge ! Précisons, de plus, qu’auparavant un disque constituait l’aboutissement d’une certaine reconnaissance. Maintenant on commence par cela, et ce n’est pas forcément mieux.
En guise d’apothéose, on sent l’envie de nous les présenter comme les nouveaux Yehudi et Hephzibah Menuhin, et cela nous énerve particulièrement. Certes ils savent jouer. Mais soyons francs, leur deuxième partie n’a strictement aucun intérêt : les deux Fantaisies ne nous amusent pas du tout. Quitte à faire de la fantaisie, il faut en faire jusqu’au bout. Or, bien sûr, ce qui compte ici, c’est de ne pas en faire trop ! Ils n’assument pas leur programme dans sa totalité ; car on ne va pas nous faire croire que ces deux pièces ne sont pas autre chose que deux vastes faire-valoir pour les instrumentistes.
Alors évidemment, la Sonate de Beethoven est jouée avec énergie, dynamisme (heureusement, à leur âge). Mais on ne voit pas bien ce qu’il y a de spécialement mature dans leur jeu. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas au royaume de la finesse : les effets sont particulièrement appuyés, et le mouvement lent Adagio cantabile n’a pas la respiration, la profondeur souhaitée. Quant à la Sonate de Brahms, c’est un peu mieux, mais le miracle n’a toujours pas lieu. Cette sonate, ô combien romantique, houleuse (écrite au bord du lac de Thun), manque ici de caractère, de puissance introspective.
En définitive, on pourrait dire que leur détermination intellectuelle a fait défaut. Mais ce serait être sévère avec de jeunes interprètes. En effet, ce qu’on reproche le plus, c’est cette appropriation par une grande maison de disques de jeunes musiciens qui ont encore besoin de se rôder. On ne leur en veut pas. Ils n’y peuvent pas grand-chose hélas, et c’est cela le pire.