On ne s’y attendait pas trop à celle-là. Après nous avoir offert Mutations, prétendument mineur -mais à y revenir, vous verrez qu’il s’écoute très bien et contient quelques grands morceaux-, Beck effectue aujourd’hui ses « mutations ». Le bonhomme s’est muté en meneur de revue funk-soul, avec force cuivres et tout et tout, sans oublier, les miaulements, les couinements et les paillettes. A la limite, il ne manque à ce roi du funk, ce prince de la soul, ce crooner bluesy de la mort qu’une plume dans le cul. Les morceaux débordent d’orchestration, comme des plantes grasses, et dans cette luxuriance, Beck joue à l’horticulteur de luxe. Avec son gros son et ses références multiples -jetées à la figure de l’auditeur plutôt que finement disséminées-, Midnite vultures est un album conçu comme un cartoon explosif, brillant sans doute, mais assurément difficile à prendre au sérieux.
Déjà, Sexxlaws, le single, avertit de ce qui nous attend : c’est la Beck Revue, qui éclate tout sur son passage et n’évite aucun effet pompier avec ses cuivres en batterie. Idéal pour une grande fête exotique, tendance costumée western spaghetti. Sur Nicotine & gravy, c’est le funk rampant qui fait son entrée : voix traitée, basse marteau et regard par en dessous. Etrangement, le morceau finit par dévisser en fantaisie façon « Mille et une nuits » kitsch. Quant à Mixed bizness, c’est l’option total sex power qui a été retenue : bouge ton corps ! Tu peux danser le mashed potatoe, le funk martien ou tout simplement remuer du popotin en agitant les bras en tous sens. Sur la fin, on a même droit au grand coup à la James Brown, avec les cuivres épileptiques.
On a bien rigolé jusqu’ici, mais ça se gâte un chouïa avec Get real paid, sorte de proto-funk blanc assez ennuyeux. Prince au plus bas de sa forme, c’est dire. Ceci dit, Beck devrait cartonner avec Hollywood freaks, coloré funk-rap-r’n’b. Ca y est, il est mûr pour composer pour TLC ou Will Smith ; ou peu s’en faut. Et pour couronner le tout, Milk & honey et Debra donnent carrément l’impression que Lenny Kravitz est dans la pièce, en train de faire son grand numéro de star. Alors, bien sûr, Beck est moins lourdaud, beaucoup plus intelligent que celui qu’il singe, mais a-t-on vraiment besoin de ça ?
Un peu partout sur Midnite vultures, on retrouve les effets cheap au synthé de la bonne vieille période electro, comme une poignée de smarties lancés en l’air. C’est finalement, même si la coloration funk est largement prédominante, un album en forme de pochette surprise, vachement bien produit, tout plein d’instruments, d’idées mixées entre elles… et de morgue. Car ce n’est pas le tout d’avoir du talent, encore faut-il s’en servir à bon escient. Et ici, on a l’impression que Beck a seulement voulu signifier aux Prince, Lenny Kravitz et autres Joe Cocker, qu’il les surpassait aisément sur leur propre terrain. C’est un peu vain, et pas tout à fait vrai. On a rarement la sensation que Beck est sincère dans ce qu’il nous propose. Sans lui faire de procès d’intention, on voulait Beck Hansen, créateur ; pas Beck en scène.