2006 n’est pas encore achevé, et déjà pointe une première impression d’ensemble : l’année fut riche en albums équilibrés, à la fois classiques et singuliers, sobres et raffinés, maboules et maîtrisés. Plutôt que le prétendu « retour du rock », c’est bien celui d’une pop redevenue ambitieuse que l’on célèbre depuis plusieurs mois : Belle & Sebastian, Sufjan Stevens, Final Fantasy, The Pipettes, Josh Rouse, El Perro Del Mar, Camera Obscura, Hot Chip, Architecture In Helsinki, Phoenix, Kooks, Spinto Band, Euros Childs, The Flaming Lips, Dorian Pimpernel, The Fiery Furnaces… la liste est trop longue. Comme toujours en période d’abondance, le risque est grand de passer à coté de disques moins remarqués, quoique tout aussi remarquables. C’est ce qui a failli nous arriver avec B.C. Camplight et Jim Noir, dont les premiers achèvements discographiques viennent d’atteindre nos terres, dans un relatif anonymat. Autant l’avouer, une première écoute un peu distraite nous a poussé à ranger les deux jouvenceaux parmi la foule des disciples, doués mais trop révérencieux, des Beach Boys. Classification ô combien injuste et imprécise ! Au fil de son oeuvre plantureuse, la confrérie Wilson a dessiné, quasiment à elle seule, les différents contours du spectre pop, du plus accessible au plus expérimental. Si bien que rares sont les songwriters à ne pas s’en réclamer aujourd’hui. Inutile donc de blâmer nos deux émules pour un penchant si largement répandu. D’autant que, dès lors que l’on fait fi de l’ombre wilsonienne, luit l’évidente clarté : les disques de Camplight et Noir brillent d’un éclat puissant. Aussi puissant qu’est faible, en apparence, le contraste entre leurs modes d’écriture respectifs. Camplight et Noir ont-ils commis des disques jumeaux ? Pas tout à fait. C’est d’ailleurs à les différencier, plutôt qu’à les rassembler, que les Beach Boys vont finalement nous servir.
Prenons d’abord B.C. Camplight, jeune Américain de 25 ans, Brian Christinzio dans le civil. On s’en doutait un peu, mais les similitudes avec « Brain » Wilson ne s’arrêtent pas qu’au prénom : même cerveau dérangé (sa bio fait état d’une « maladie mentale » récente), même fibre sportive (boxe et foot US en guise de surf), même obsession perfectionniste (B.C. s’est donné pour but de réaliser « un album de pop parfait »). On s’en doutait un peu, disions-nous, parce que Hide, run away sonne comme un avatar moderne et lo-fi de Today, Pet sounds ou Friends, soit les albums les plus fluides, les plus purs, les plus déchirants des Beach Boys. Les mélodies ont beau être aussi alambiquées que le parcours d’un train fantôme, elles coulent de source ; les arrangements sont impeccables, malgré quelques claviers un peu cheap ; l’entrée dans l’âge adulte, et son cortège de doutes, de hontes et d’effrois, est chantée avec la douceur, la sincérité d’une voix d’enfant ; et l’ensemble est suffisamment solide et varié pour faire oublier la légère baisse de régime en fin de parcours. Résultat des courses : Joe Pernice, les Papas Fritas, Grandaddy, Ben Folds, XTC ou les Super Furry Animals, auxquels Camplight fait alternativement penser, n’ont plus qu’à se cacher six pieds sous terre.
Un conseil dont on exemptera Jim Noir. Lequel concourt, de toute façon, dans une autre catégorie. Passons sur la biographie du bonhomme, plutôt obscure (24 ans, Mancunien, mélomane), et penchons nous sur Tower of love, compilations de trois EPs parus en 2005. Lui aussi a retenu les conseils de tonton Wilson, on l’a dit, mais pas les mêmes. Ce sont les Beach Boys tardifs de Smile, de Sunflower, de Surf’s up qui sont ici convoqués, soit le versant le plus avant-gardiste, le plus confus, le plus bricolé du groupe. Les chansons sont construites autour de boucles répétitives, collées les unes aux autres, sur lesquelles vient s’empiler un amas d’harmonies vocales, de percussions bancales, de guitares mal accordées, de synthés fauchés. Ca ressemble aussi aux débuts du Beta Band ou de Badly Drawn Boy : mille-feuille sonore, production en escalator, architecture pyramidale, la tour de Noir grimpe haut mais tient debout, à l’image du lumineux I me you I’m your. « I am confused, I’ve got words I’d like to use, but they’ve all been said before, so I’m gonna use them all », y ressasse sa voix timide. Sédimenter les sons sans craindre l’effondrement, saturer son art de répétitions pour faire advenir la nouveauté, l’Anglais ne manque pas de courage. Comme chez Camplight, il y a quelques longueurs, tout n’est pas à la hauteur du magnifique The Only way, mais les promesses sont suffisamment nombreuses pour nous laisser espérer un premier véritable album enchanteur.
A propos de suite : « If you give me another chance, I would quickly need another », chante Camplight sur Couldn’t you tell. A ce tarif, et vu la qualité de leur premier essai, on est prêt à donner toutes les secondes chances du monde à nos deux hommes-orchestres. Et tant pis pour l’encombrement du trafic discographique occasionné.