Redécouverte inattendue que celle de cette galette enregistrée en 1970 par trois musiciens soucieux de sortir des sentiers battus et prêts à s’en donner les moyens : le batteur de jazz Philippe Combelle, le violoncelliste Jean-Charles Capon et le claveciniste Georges Rabol. Violoncelle, batterie et percussions, clavecin : un mariage à trois pour le moins baroque, ainsi que le signale d’entrée de jeu le nom choisi par la formation ; au terme de quelques séances d’essai, le label Saravah de Pierre Barouh ouvre aux trois hommes les portes de son studio et, sous la houlette du directeur artistique Michel Salou, leur permet d’enregistrer un premier 45 tours de deux morceaux (qu’on entendra en conclusion de cette réédition CD : le Largo de Haendel et Orientasie, un thème signé Capon). Satisfaits de cette première expérience, le BJT se lance dans l’enregistrement d’un album entier, accouchant d’un ovni bizarroïde traversé d’influences ethniques bien dans la mode de l’époque. Les parfums indiens embrument une bonne partie de la galette, le clavecin se muant à l’occasion en tampura grâce à des baguettes chinoises posées sur les cordes (une astuce imaginée par l’ingénieur du son Daniel Vallencien) et les tablas remplaçant les tambours sous les doigts de Philippe Combelle, lequel venait tout juste d’en commencer l’apprentissage ; le groove n’est par ailleurs pas absent, qui imprègne sèchement l’étrange Latin baroque, composition où l’on aurait été moins étonné d’entendre une guitare grassement saturée en lieu et place du clavecin (mention spéciale pour le stimulant tapis de percussions de Combelle).
Surprenant ? A chaque seconde. Psychédélique ? Sans aucun doute. Daté ? Un peu, il faut bien l’avouer, d’autant que les bandes originales ont disparu et que le mastering de cette réédition a été réalisé à partir de copies vinyles sur lesquelles subsistaient quelques petits défauts de pressage (crépitements, grésillement), ce qui confère à l’ensemble un son indéniablement seventies. Reste qu’au-delà de l’aspect proprement documentaire et historique de la chose, Baroque jazz trio recèle quelques fulgurances et idées folles qui ne sont pas pour déplaire à l’oreille du jazzfan des années 2000. Quitte à être davantage apprécié aujourd’hui qu’en son temps… Lors de sa parution en effet, en 1970, le disque est un peu injustement classé dans le dossier déjà bien fourni des rencontres entre jazz et classique (genre Play Bach ou Jazz goes baroque), ce qui amoindrit son impact et empêche une partie du public de mesurer complètement son originalité ; à ce semi-échec phonographique s’ajoute la difficulté de produire cette musique sur scène (allez trimballer et sonoriser soir après soir un clavecin et des tablas à travers le pays, surtout lorsqu’il n’existe en France qu’une dizaine de clavecins utilisables, comme c’était le cas à l’époque), surcroît de difficulté qui pousse finalement le BJT à jeter l’éponge. On aurait tort de se priver du plaisir de la redécouverte, ne serait-ce que pour les incroyables onze minutes et trente secondes de Zoma, une composition de Capon évoquant le marché de la capitale malgache, Antananarivo, sur laquelle le flûtiste Michel Roques vient discourir par-dessus les riffs follement groovy du clavecin de Rabol et la batterie parfaitement jazz-rock (on croirait entendre Wyatt dans Soft Machine) de Combelle. A écouter pour la curiosité, à réécouter pour la musicalité et l’originalité.