Nouvel album, deux ans après Fluide (distingué aux derniers Djangos d’Or), de l’un des grands porte-drapeaux du jeune jazz français : Baptiste Trotignon avance, et plutôt vite, multipliant les aventures et les partenariats tout en construisant avec Clovis Nicolas (contrebasse, deuxième pilier rythmique de l’éclatant quintet des frères Belmondo) et Tony Rabeson (batterie, moteur de l’Azur Quintet d’Henri Texier) un projet personnel de plus en plus admirable. A 27 ans, le nantais semble avoir accumulé suffisamment de musiques et de sensations (il écume les clubs parisiens et les scènes provinciales depuis des années) pour s’ouvrir vers un jeu plus personnel, moins tributaire du langage et des influences de ses débuts, et parvient à faire de son volumineux bagage estudiantin (douze ans de piano classique et deux au Conservatoire National Supérieur de la Défense, classe jazz bien sûr) un tremplin plutôt qu’un cadre.
Résultat : les standards cèdent la place à des envies plus personnelles (on ne retrouve ici qu’un medley arrangé de Billy Strayhorn ainsi qu’un salut au saxophoniste Wayne Shorter, auteur du thème qui donne son titre à l’album), les couleurs se multiplient, la musique gagnant la force et la fraîcheur qui manquaient peut-être, encore que, à Fluide. L’attention portée à la mélodie et, surtout, au son, semblent devoir beaucoup à l’expérience du sensationnel Rabeson (qui signe d’ailleurs l’une des compositions choisies, « M’janga »), dont les peaux veloutées et les rythmes complexes mais essentiels donnent un surcroît de personnalité au groupe tout entier. La preuve de la réussite de ce Sightseeing tient en la difficulté qu’on a de le résumer à l’une ou l’autre de ces catégories hâtives où l’on enferme parfois les jeunes musiciens ; s’il est, avec quelques autres (à commencer par les frères Moutin, dont il est le partenaire au sein du Moutin Reunion Quartet), l’un des plus prometteurs des jeunes jazzmen hexagonaux, ce disque est bien une authentique réussite musicale avant d’être l’une des entrées du catalogue de la vivacité du jazz français.