Depuis son arrivée à Bay Area en 1989, Azeem a parcouru des déserts, affronté les plus grands -sous le nom d’Invisible Man, aux côtés d’ATCQ- et fait ses premières armes en tant que lyriciste au sein de Spearhead, qui l’embarqua en tournée suite à sa participation au second album du groupe. Récemment aperçu sur l’album de Kubiq ainsi que sur la compilation Stray from the pack qui recensait quelques talents du label Stray (Sly Doc, FIII), le gamin natif de la côte Est balançait en novembre dernier un premier opus de hip-hop fin et méticuleux produit par Fanatik pour son label Heratik (Garage opera).
Sous-tendu par cette idée subtile qui planait sur les productions du collectif Telefunken, Craft classic ne fait pas exception à la règle sacrée du « Give wings to english ». Autant par l’ampleur de son flow parfaitement articulé que par la pertinence de ses paroles imbibées d’une critique sociale acerbe mais qui ne laisse jamais l’humour de côté, Azeem se classe avec cet album parmi les grands de sa catégorie. Et s’il s’embarque parfois dans quelques phases ultra-complexes qui démontrent largement sa virtuosité, il sait réserver à l’auditeur des passages bien plus intelligibles, des syllabes épluchées dans le souci d’en imprégner le monde, et au travers desquelles perle le message : « Peace, unity and consciousness ».
Imbibé de conscience noire (Imma RMX) et de philosophie Moorish (il lâche en plein milieu de l’album un psaume en l’honneur de Drew Ali), Azeem tourne en dérision sa société, épingle le spectacle ambiant et ses acteurs, au premier rang desquels trône le président des Etats-Unis. Fort d’un flow guilleret emprunté pour l’occasion, il parodie sur George Bush is a gangsta une ancienne émission TV en forme de tribune propagandiste. Arborant un large sourire, il y narre froidement les techniques de persuasion dont le président use (et abuse) : « For the price o’ a cup of coffee, you can send CIA and other clans/…/into underdeveloped nations for experimentations on chemical and biological warfare/…/for political assassinations, and for the most important of all : population control ». Conclusion : G. Bush is a gangsta, scandé par ses compères sur un instru enchanteur. Parsemant ses titres de l’incontournable « No justice no peace », Azeem milite pour une economical consciousness sur Organic food revolutionnaries, et ne manque pas de mettre la forme quand il aborde des sujets sérieux : pas de refrain ni de phases chantantes sur Imma RMX, qui aborde la question noire. On retiendra également Palm wine two, un titre bondissant sur lequel Azeem évoque l’amour en s’affranchissant de la misogynie de rigueur, soutenu par un joyeux clavecin un rien trafiqué.
Regroupant la crème de la crème des producteurs du coin (Fanatik, Architect, DJ Design, DJ Spin, Zeph), Craft classic dresse un solide état des lieux de la variété des productions de Bay Area. Ouvert par Protest sur un beat en forme de rouleau compresseur bombardé de pointes cuivrées, l’album mêle habilement des productions carrées aux basses électroniques (No lexus, Static truth) et des titres plus funky (Palm wine two, Good), laissant Azeem et ses compères -rien moins que Sayyid & Priest d’Anti Pop Consortium, Holocost, Junction et Eye-Q- naviguer par-dessus, avec l’aisance qui les caractérise. Craft classic est un classique, assurément, un résumé de la conscience hip-hop en même temps qu’une composition homogène qui parvient à varier ses sonorités (cuivres, orgues, pianos, clavecin), sans échapper à la frénésie de turntablism qui agite ce coin de la planète.