C’est fou ce qu’Arto Lindsay peut être méconnu, alors qu’il occupe le terrain de la création musicale depuis presque vingt ans -à ma connaissance, son premier enregistrement important remonte à 1981, avec son groupe de l’époque, DNA. A cette époque, Arto Lindsay, mi-Brésilien mi-new-yorkais, était en plein dans la mouvance no wave, de laquelle s’échapperont des artistes tels que Glenn Branca, Sonic Youth ou Lydia Lunch (elle sévissait alors dans les Teenage Jesus & The Jerks). Très vite, Lindsay va s’intéresser à ses racines culturelles, le Brésil, ce qui l’amènera à collaborer avec des artistes comme Nana Vasconcelos, David Byrne ou Caetano Veloso. Il formera même, avec son ami Peter Scherer -présent sur un des titres de Prize-, le groupe Ambitious Lovers, qui sortira, dans la seconde moitié des années 80, deux disques où la pop et les manipulations sonores en tous genres côtoyaient des essences brésiliennes.
Depuis quelques années maintenant, Arto Lindsay continue son exploration de la musique auriverde, la mariant avec ce qu’il faut de technologie et de pur songwriting pop. Car, il faut le dire, avant d’être un « fusionneur » de talent, Lindsay est un compositeur de premier plan. Pour ceux qui voudraient reprendre les derniers chapitres, histoire de vérifier, on ne saura trop leur conseiller de se jeter sur les trois opus précédents du monsieur, The Subtle body (O Corpo sutil), Mundo civilizado et Noon chill. En plus, ça tombe bien, Prize, le nouveau venu, est celui qui vient s’accoler aux trois précités pour former une œuvre quadripartite.
On se dépêchera d’ajouter que c’est carrément l’album le plus réussi des quatre, le plus abouti, le plus riche et celui qui sonne le plus naturellement. De Ondira, l’ouverture, à E ai esqueço, magnifique chant de départ, on est totalement sous le charme de Lindsay, qui mixe merveilleusement rythmiques modernes et sautillantes et tradition sud-américaine. O Nome dela ou Tone en attestent. L’écriture de chaque titre est somptueuse, sans pour autant verser dans la préciosité, et contribue à faire de ce disque une œuvre à la fois complexe et très facile d’écoute. Après, chacun choisira le niveau de lecture et de compréhension qui lui convient le mieux.
Enfin, il faut reconnaître à Arto Lindsay d’avoir su s’entourer à la perfection, notamment avec Melvin Gibbs ou Davi Morales, et sur un morceau, Resemblances, on croise même Brian Eno. Si, maintenant, vous n’avez pas envie de fondre sur Prize pour l’écouter en boucle, c’est qu’il est devenu interdit d’écrire sincèrement tout le bien que l’on pense d’un artiste et d’un disque.