Sur le boitier plastique du CD, un autocollant annonce fièrement : « Featuring remixes by the Dust Brothers ». On en collerait bien un second, lettrage blanc sur fond noir, comme ces avertissements aux parents : « Attention ! Contient de vrais morceaux de pop ». Car April March, née Elinor Blake, nationalité Américaine, enlace à bras le corps les courants musicaux les plus gais, les plus enlevés et les plus légers qui aient existé en France au milieu des années 60. Il y aura de tristes sires pour ravaler Chrominance decoder au rang des curiosités kitsch de l’année. D’autres pour le classer dans le rayon easy-listening, une catégorie dont on essaye vainement de se dépatouiller chez Tricatel. Il faut dire que les implications tartignoles inhérentes à cette étiquette en France (patrie du, hum, bon goût) ont de quoi faire déprimer. La même classification à New York ou Los Angeles projetterait des collectionneurs d’insolite dans des transes proches de l’évanouissement : c’est dans ces instants-là qu’on a honte de ses origines…
Avec April dans le rôle d’ingénue à la voix d’or et Bertrand Burgalat (encore lui) dans celui du pygmalion-chef d’orchestre-producteur, le feuilleton de l’été peut commencer. Mignonette et Garden of April rappelleront les bandes originales des comédies légères et sans prétention de la fin des années 60. Knee socks réveillera le pédophile fantasmant sur les lolitas aux genoux à l’air. Garçon glaçon est une version dessalée des Sucettes de France Gall digne d’avoir été arrangée par un Polnareff en rupture de Bal des Lazes. Martine fleure bon la nostalgie et la douceur et sa flûte vibrante comme un Thérémine (à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse) figure haut parmi les trouvailles sonores de l’album. Ceux qui hésitent encore craqueront en entendant la touche d’accent d’April, sa voix fraîche comme une bouffée d’oxygène dans un monde asphyxié par son propre cynisme et surtout, surtout, son manque d’ironie et de décalage quatrième degré. Sa musique et ses intentions sont sincères, la petite Américaine détesterait sûrement la récupération par ces branchouillés habillés en Deschiens qui trouvent du génie dans des trucs pourris dans le seul but de faire croire à leur originalité. L’ironie, elle refuse de connaître, le titre Mickey et Chantal (hommage à La Goya sous forme de ballade touchante comme un souvenir d’enfance) en est la preuve. Loin de ressembler à un disque rétro et passé, Chrominance decoder n’a pas d’âge, ne suit aucune mode. Comme ça, il lui sera épargné la honte de finir démodé.