Et de 30 ! Le Quatuor Talich fait son retour ! Et dans Dvorak en plus. Faut-il encore présenter cette illustre formation tchèque qui a laissé des enregistrements majeurs de Beethoven, Schubert, Haydn, Brahms, Dvorak et autre Smetana ? Eh bien oui. Seul Jan Talich, à l’alto, était présent dans la formation d’origine. On peut donc se demander quel est le rapport avec le quatuor créé en 1962 au conservatoire de Prague sous la direction de J. Micka (professeur qui avait déjà été à l’origine du Quatuor Smetana). Le disque nous donne une réponse très claire : il existe bien une continuité artistique- qui, il faut bien le reconnaître, est assez étonnante- par-delà les changements d’instrumentistes ; la seule présence d’un témoin de l’ancienne formation suffit à assumer le nom, lourd de références. D’autant plus qu’ici, l’altiste est à son aise.
En effet donc les Talich (ils sont deux maintenant, Jan Talich junior tient le premier violon) se remettent à Dvorak. Et ce n’est pas dans le quatuor n°12 (américain), justement célèbre, mais dans les deux derniers quatuors, que Dvorak a composé après son retour en 1895 dans son pays natal, alors qu’il a passé plus de 3 ans à New York en tant que directeur du Conservatoire National de Musique. Si cette période a été créatrice, rien moins que le 2e concerto pour violoncelle et la symphonie dite Du nouveau monde, le retour est vécu comme une libération, libération que ces œuvres ne laissent pas forcément transparaître.
Il compose en moins d’un an deux quatuors qui manifestent l’un comme l’autre sa maturité d’écriture en matière de musique de chambre. Il est ainsi l’un des derniers compositeurs à avoir écrit un cycle de quatuors comme ont pu le faire Schubert ou Beethoven, et comme l’a fait Chostakovitch. Il n’est pas inutile de faire référence à ces deux compositeurs concernant Dvorak : ils ont chacun pu exprimer leur savoir, leur maturité dans le genre plus intimiste du quatuor, et c’est le genre ultime pour leurs expériences musicales.
Le quatuor n°14 (op.105) se caractérise par un retour à l’ordre préclassique : le 2e mouvement est un scherzo d’une écriture à la fois exubérante et poétique ; les Talich le jouent avec précision et justesse, usant de couleurs et de dynamiques précises. Au contraire, le 2e mouvement du quatuor n°13 (op.106) (la non-correspondance des op. et des numéros est normale) est un adagio ma non troppo d’une densité phénoménale. Les Talich interprètent cette prière avec beaucoup de respect et rendent justice aux qualités tout autant rythmiques et mélodiques de ce mouvement. Aucun ne cherche à sortir son épingle du jeu, ce qui n’est pas un mince compliment.
Le reste des quatuors, en particulier les premiers et derniers mouvements, sont toujours fidèles à l’esprit tout autant oppressant (les sérénades et chants sont souvent très poignants et il se sert particulièrement des sonorités de l’alto et du violoncelle pour les exposer) que populaire ( le folklore bohémien) des œuvres du compositeur tchèque, esprit dont les Talich sont les ambassadeurs depuis plus d’un quart de siècle. Les Talich s’inscrivent donc encore dans la grande école tchèque de musique de chambre, avec entre autres le Quatuor de Prague, qui avait laissé une intégrale essentielle des quatuors de Dvorak dans les années 70. On souhaite que le Quatuor continue dans cette voie sans pour autant renoncer à s’essayer à de nouvelles directions. Déjà, leur disque avec J.M. Luisada dans Chopin (RCA) est prometteur.