Choisir un standard, n’en retenir que la structure, improviser librement : le travail du jazzman, explique Antoine Hervé dans les notes de cet ambitieuse lecture de Mozart, n’est finalement pas si éloigné que cela de la tradition qui consistait pour nos grands compositeurs à improviser « fantaisies » et « variations » sur leurs thèmes ou sur ceux suggérés par le public. « En cela, la pratique du jazz est réellement très proche de celle de nos maîtres classiques ». Bref, non seulement rien n’interdit de s’emparer du « plus grand peintre-en-musique de l’âme humaine », ainsi qu’il l’appelle, mais tout y encourage. D’où un spectacle créé en 1997 et mêlant quartet de jazz (les frères Moutin à la rythmique, Markus Stockhausen au bugle), musiciens invités (Didier Lockwood, le percussionniste Arnaud Franck) et, derrière eux, les imposants choeurs de Suresnes et de Versailles, arrangés par le maître de cérémonie. L’alliance est inédite et pour le moins surprenante : le « Lacrimosa », l’air de Chérubin (tiré des Noces de Figaro), le « Dies Irae » du Requiem et quelques autres sont ainsi soumis à un traitement qui fera monter les puristes aux rideaux mais dont Hervé, facétieux, assure qu’il rend hommage à « Wolfgang, génie rebelle et créatif doté d’un esprit libre et ludique », ajoutant que « la musique est universelle, n’appartient en fait à personne, et ne doit surtout pas être figée dans des bandelettes par quelques esprits obtus. »
Le résultat ne laissera pas d’étonner et, que l’on s’y attende ou pas, prend rapidement un tour plutôt séduisant, ne versant ni dans la superposition pure et simple de matériaux hétéroclites, ni dans l’épicerie sonore, fut-elle fine ; la puissance des choeurs offre un curieux tremplin à l’idiosyncrasie débridée du pianiste, lequel peut ici passer à loisir d’un jeu jazz à ces tentations contemporaines qu’il affectionne. S’y ajoute la force lyrique du bugle de Stockhausen, remarquable du début à la fin de l’album. Les plans electro qui surgissent ici et là viennent malheureusement donner une saveur moins spontanée à l’ensemble : les rythmes rap et jungle délavent le patchwork et confèrent au curieux mélange initial la saveur fadasse des ragoûts commerciaux. On reste cent coudées au-dessus des projets publicitaires métissés dont nous gave plus souvent qu’à son tour l’industrie du disque, mais l’éclectique et astucieux Antoine Hervé, à trop embrasser, n’étreint plus aussi bien. A découvrir, avec indulgence.