Les New-yorkais d’Antipop Consortium se sont fait un nom en pratiquant une dissection glaciale du rap, en scandant du spoken word déphasé sur des flatliners sordides, en déformant le moule du hip-hop… Avec leur pièce Tragic epilogue, premier opus de choc sorti au point culminant du Y2K, ils ont défoncé farouchement le tissu du hip-hop américain (à l’instar de formations comme Scienz of Life, Mf Doom, Cannibal Ox, Deep Puddle Dynamics, Clouddead, El-P ou encore MHZ, pour ne citer qu’eux…). A coups de breakbeats lo-fi, de flows parasités, de débordements sémantiques, de « lésions du beat » et de gloses abruptes au grain crasseux, Beans, M Sayyid et Priest ont donné un goût post-apocalyptique très prononcé à leurs torpilles hip-hoppesques. En ce sens et pour toutes ses déraisons arythmiques, Tragic epilogue est un des albums hip-hop les plus intéressants des cinq dernières années.
Autrefois signés sur 75 Ark, les gaillards ont voulu prendre le large, ou plutôt, se sont fait draguer méchamment par nombre d’écuries assoiffées de rap. Warp est passé par là, toujours à l’affût d’un big bang electro-choc, qu’il pense pouvoir (re)lancer avec l’essence d’un hip-hop dit décalé et avant-gardiste (en témoigne la fibre rapologique de Prefuse 73 ou encore le breakbeatien Sketchbook de l’intéressant Req). Difficile pourtant pour Antipop de continuer sur sa lancée et de surprendre l’auditoire. Pour ceux qui ne connaissent pas encore leur son, on conseille donc de lire et d’écouter l’histoire Antipop depuis le début, en évitant peut être le teaser bâclé The End against the middle EP…
Arrhythmia est un album savant, dont le seul tort est peut être de posséder un grand frère très puissant, une ombre tragique… On retrouve ici toujours et encore l’alliage quasi-parfait d’un manifeste déviant de la culture hip-hop et d’une faim avouée pour la détérioration du mot, le démembrement du rythme… Sur des plages funk plus agitées qu’à l’accoutumé (les balles Ping-pong, Eueelz, Silver heat…), Antipop nappe ses voix de divers effets bien dosés (reverb, distorsion…) pour mieux replonger dans une robotisation désaxée, un hip-hop mutant qui déterre l’électro de Grand Master Flash & The Furious Five, tout en grillant quelques joints electronica gâtés (Focused, Conspiracy of myth ou le sublime Mega, pénétré par une prima donna tout droit sortie de la Traviata). Les maniaco-dépressifs du son donneront sûrement un très bon point à l’énergisant Arrhythmia. Pour exemple, on citera Human shield, où le rap-contact du trio se pose sur des breaks électrifiés, en écartant savamment les harmonies minimales de l’esthétique glitchienne, chères aux pointures electronica, et les unités maximales de l’art oratoire, qu’affectionnent les poètes du slam. Cette nourriture pour le cerveau brutalisera forcément la perception des esprits les plus avides de dislocation musicale. Antipop Consortium est un reptile en constante mutation, qui se nourrit du rap comme il boufferait sa propre peau. Mind your head !