Sur son PC, Anne Laplantine est le genre de jeune fille à nommer ses répertoires du nom des personnes qu’elle n’apprécie pas, pour le simple plaisir de pouvoir lire sur son écran, lorsqu’elle met ces dossiers dans la corbeille : « Voulez-vous définitivement supprimer… [remplir du nom de l’intéressé] ? ». Elle a aussi créé pendant plusieurs mois un petit label, Nordheim, aux références hebdomadaires, mais au tirage limité à cinq cassettes par semaine. Enfin, si vous allez à Bimbo Tower, le magasin de disques du quartier Bastille, vous pourrez y trouver des tracts personnalisés pour ses prochains live : en fait, des tracts de concert où le nom de l’artiste mis en avant est biffé, remplacé au stylo par « Anne Laplantine »…
Ainsi cette demoiselle au mille idées par minutes les concrétise spontanément dans une certaine urgence légère qui rend tout ce qu’elle aborde extrêmement poétique et touchant. On retrouve notamment cette intense productivité dans son actualité discographique : en deux ans, sont sortis sous les noms d’Anne Laplantine ou de Michiko Kusaki les album Bye Bye Baby chez Angelika Koelermann, Nordheim chez Gooom, Don’t do that sur le label chicagoan Ciao, ciao, ciao, des remixes chez Angelika Koelermann et Breakin records, des morceaux sur les compilations Gooom et Evénement. Et récemment ce mini LP Alison ainsi que ce Live in Dijon sur Alice in Wonders. Tant mieux, on ne s’en lasse pas.
On ne se lasse pas, quoique la formule musicale d’Anne Laplantine semble invariable : saynètes électroniques à la durée minimale mais à l’intensité maximale, fragiles vignettes mnésiques electro et chantées d’une voix indistincte, sur une essentielle mélodie de synthétiseurs, comme les instantanés évanescents d’une appréhension musicale du quotidien. Une sorte de vaporeux journal intime sonore, clair et pâle comme un matin d’automne, fixant chaque jour écoulé en une lumineuse lutte contre la fuite du temps.
Ces deux nouveaux opus semblent se répondre l’un à l’autre et peuvent s’écouter de manière complémentaire, le live comprenant des titres issus de Alison ainsi que des morceaux inédits. Ils fixent une humeur en arpèges de synthétiseurs, parfois stylisés comme des gimmicks electro 80’s (Last summer), parfois proches des orgues baroques (Can’t give you my love), entre la ville et un dimanche à la campagne. Tendant vers une certaine harmonie synthétique simplifiée et spontanée, comme ont pu le faire Dominique A ou Pram (Alison), ils sont incroyablement mélodiques dans leur immédiateté et sans doute plus « pop » que ce que l’on connaissait déjà d’Anne Laplantine. En même temps, une certaine tristesse récurrente, une mélancolie légère, peut-être une nostalgie, donnent à voir ces chansons comme les témoignages succincts d’un moment enfui, comme le souvenir d’un enchantement.
Anne Laplantine continue d’égrener le temps qui passe, entre gaieté et mélancolie, et nous invite (toute sa musique est une invitation) à compter les jours avec elle. D’ailleurs, chez elle, dans son appartement, elle note chaque jour sur un morceau de papier. Aujourd’hui, lundi 19 mars 2001, on notera qu’on a écouté Anne Laplantine, et qu’un peu de son quotidien se sera mélangé au nôtre.