Anjali, jeune anglaise d’origine indienne, a d’abord été leader des Voodoo Queens, groupe riot grrrls du début des années 80, lorsque Londres fourmillait de fanzines féministes et de micros labels punks, rythmée par les concerts anticonformistes de Huggy Bear, Corner Shop, Blood Sausage, God is my co-pilot ou Bikini Kill. De cette effervescence adolescente et politisée, Anjali semble bien revenue aujourd’hui, et offre avec son premier album éponyme un disque de lounge apaisée, d’exotica évanescente, teinté d’électronique et nimbé de cordes vaporeuses, entre Martin Denny et DJ Shadow, groove et atmosphérique, un peu à la manière des Gentle People, dans le registre « musique d’ambiance faite avec des machines ».
Inspiration Bollywood (Arabian Queen convoque la BO de Shalimar, pour une relecture dansante et cuivrée de l’exotisme indien, entre « Indian sound » et Dee-Lite), arrangements de cordes à la David Axelrod ou Charles Stepney, classicisme de John Barry ou d’Astrud Gilberto, déconstruction rythmique, entre Premier et The Alchemist, exotica à la Les Baxter, funk cinématique à la Alan Teew, Lazy Lagoon est un étrange objet cross-over, planant et émouvant, intelligemment commercial, à l’aura puissante, à la puissance d’évocation intrigante. Strawberry Mousse commence sur un groove funk et s’arrête sur un break de cordes et de synthés-voices éthérées. Nebula est franchement house, Turquoise & blue navigue entre breakbeat et Ken Nordine, Kali Came ressemble presque à du Stina Nordestam, l’ensemble du disque, avec ses samples de cordes et de cuivres langoureux, donne l’impression d’un parcours initiatique dans un paysage vaporeux, entre rêve et piste de danse, la réalité se dissolvant dans un indistinct musical, un flou mental apaisant, comme un doux neuroleptique.
La voix de Anjali accentue ce sentiment d’inconscience : éthérée, réverbérée, doublée, phasée, elle s’étire nonchalamment le long de ces plages musicales intemporelles, douce et sensuelle. Cette féminité, cet univers féminin semblent peu en accord avec les velléités politiques des premières armes musicales d’Anjali. Pas de revendications féministes ici, pas d’autre projet qu’un lent et lymphatique dérèglement des sens, qu’une recherche de l’agréable et de l’image mentale. En fait d’images, Lazy lagoon est très évocateur, très coloré : « lazy lagoon », « jasmine-scented clouds », « sea and shore breeze to shades ». L’inspiration cinématique est partout, l’évocation exotique en sus (les sitars et les tablas en touches impressionnistes, les chœurs), pour une musique semi-consciente et spatiale, en demi tons et demi teintes, une musique de rêve…