Que n’a-t-on pas dit ou écrit contre Alpha l’égocentrique. Malade mental ou businessman paranoïaque, les mots les plus durs furent utilisés pour condamner la méga-star ivoirienne, qui allait de colères douloureuses, aussi bien pour lui que pour ses proches, en tentatives de suicides ratés. A dire vrai, l’homme, qui symbolisait il y a quelques années encore la maturité rebelle des enfants francophones de Jah, semblait se ranger. Après avoir pointé du doigt les opérations coup de poing, honni les exactions des éternels brigadiers Sabary, prôné l’amour et la réconciliation en mystique rastafoulosophe, Blondy s’était mis à singer les lois de Babylone. On connaît la légende de l’artiste qui jette ses lingots d’or, jamais déclarés au fisc, par la fenêtre d’un appartement parisien… Certains le disaient atteint d’une folie des grandeurs, d’autres le pensaient meurtri par des positions politiques ambiguës.
Mais survivant, Alpha refait surface avec ce treizième album, dont le propos engagé bouscule quelques idées reçues à son sujet. Les textes sont chargés à bloc. Le justicier d’Afrique de l’Ouest (Black samouraï) retrouve son sens du verbe. Il s’attaque aux cleptocrates (Les Voleurs de la République), rabroue le totalitarisme xénophobe en se référant sans doute au débat sur l’ivoirisme initié par l’ex-président Bedié (Dictature) et défend les petits fonctionnaires contre les gouvernants corrompus (La Queue du diable). Mieux : il signe son premier tube depuis fort longtemps, avec L’affaire Zongo. Hymne à la liberté de la presse qui rend grâce à la mémoire de ce journaliste assassiné. Titre qui appuie la dernière campagne de l’organisation Reporter Sans Frontières, à qui revient la totalité des royalties. Un tube d’été éventuel dans l’espace francophone. « Au clair de la lune / Mon ami Zongo / Refusa de bâillonner sa plume / Au Burkina Faso / et Zongo est mort brûlé par le feu / Que justice soit faite pour l’amour de Dieu… » Toutes les radios libres de France et d’Afrique reprennent le titre : une petite merveille musicale qui égale le souffle de la grande époque Blondy, mais qui demeure un cas à part dans l’album. Car au-delà du sursaut politique du rebelle rasta, Elohim, album enregistré entre Abidjan et La-Plaine-Saint-Denis, avec la complicité du Jamaïcain Clive Hunt (déjà vu sur l’album Yitzhak Rabin) et de Boncana Maïga le complice des jours heureux (depuis Masada), connaît quelques faiblesses sur un plan strictement musical, avec des titres qui virent pratiquement vers une pop-rock aseptisée, très peu évocatrice pour ses fans des débuts, et qui croulent parfois sous la légèreté des programmations « synthé ». Des accents regrettables… pour un retour qui se veut radical.