Voilà une bonne nouvelle pour la pop hexagonale, le retour des trop rares Dorian Pimpernel, auteurs d’un seul mini-album oublié et grandiose sur un label japonais, Rallye, en 2007 et d’un 45t l’an passé chez les suédois de Tona Serenad. Dorian Pimpernel c’est une confrérie de docteurs ès pop, une sorte de société secrète d’alchimistes, d’esthètes brillants de la chose pop, aux croisements du krautrock et de la library music : « un pont qui relie Düsseldorf et Canterbury ». Allombon est un manifeste de moonshine pop, terme imaginé par Johan Girard, instigateur initial du projet, et qui serait un pendant maléfique, nocturne à la sunshine pop des Beach Boys et des High Llamas. Si tout cela peut avoir l’air très théorique, dans la pratique, leur musique est une véritable machine à extases, une boule à facettes réverbérant des flashes du passé, du présent et du futur.
Contrairement aux apparences, nous sommes finalement assez loin des rétromaniaqueries de notre époque. Ça leur est pourtant souvent reproché, à tort. On a affaire ici à un vrai disque de pop moderne, comme il n’en sort plus de très bon depuis le split de Stereolab et la disparition de Trish Keenan. Foin de joliesses acoustiques ici, nenni de pièces en bois ou de pompes allègres de machins super classes pour la forme. C’est un disque froid, sans fioritures, presque pharmaceutique, un vrai disque de pop baroque. Du Syd Barrett sous MGMT, où quasiment tout est électronique. Couplets, refrains, séquences, collages d’embryons de chansons et c’est dans la boîte. Ce sont assurément des mathématiciens de l’émotion, tout est très contrôlé, précis, d’un rigorisme pop absolu, mais leurs chansons n’en sont pas moins jubilatoires et possèdent une fraîcheur réelle, malgré le matériel antédiluvien (à 80%) utilisé pour les produire.
Si l’écriture a forcément quelque chose de très 67-68, proche du Smiley Smile, de Twice As Much, de Left Banke, tout en arpèges clavecinesques et de basse médiator, (c’est qu’après tout les meilleurs trucs ciselés de l’histoire de la pop datent justement de cette époque), la forme, elle, est résolument postmoderne. Il s’agît de simulacre poétique plus que de naturalisme vériste. Ici les clavecins, les cuivres, nombreux aussi, sont en plastiques et composés de ressorts, de circuits imprimés, d’oscillateurs. Le son de Dorian Pimpernel pourrait presque sortir d’un jouet chinois vendu à Belleville pour trois francs six sous, s’il n’était pas bien sûr poli à l’extrême dans des consoles analogiques au grain magnifique. C’est peut-être la raison pour laquelle le disque semble très homogène en surface, à la première écoute, alors qu’il est au contraire assez varié, proposant différentes vitesses, différentes tonalités, et de pistes, référencées ou pas. Et si le son semble clair, brillant et lisse, il contient pourtant une sacrée dose d’impuretés, de crasses, de distorsion et de fuzz acides. Le style a une singularité propre et Johan Girard possède un réel talent d’écriture : personne ne saurait trousser comme lui ces mélopées ensorcelantes et diaphanes, d’une précision maniaque, et terriblement émouvantes, sans sensiblerie outrancière. La moonshine pop n’est pas le contraire de la sunshine pop, mais vraiment son versant lunaire. Le rythme est impavide mais les paroles d’une noirceur et d’une lucidité sobre et noble. La nuit porte conseil et Dorian Pimpernel, tel Louis II de Bavière, est l’amant du clair de lune.
Coodooce Melopoia et Drowsy Waltz sont de telles merveilles que la Lune elle-même pourrait les avoir chuchoté à l’oreille de Girard. Paralipomenon qui ouvre l’album est éminemment broadcastienne en diable, période Work and Non Work, soit parfaitement rétro-futuriste et psychédélique. Mais la suite élabore des pâtes sonores nouvelles. Dorian Pimpernel le ménestrel a plusieurs cordes à son arc, qu ‘il change en harpe même, dans un esprit de jeu à la Brian Eno qui aurait délaissé Bowie et Ultravox pour enfiler la blouse de laborantin du BBC Radiophonic Workshop. Personnellement, le son de Dorian Pimpernel m’évoque immanquablement le passage dans la boîte de nuit lesbienne du chef-d’oeuvre méconnu de Marie-Claude Treilhou, Simone Barbès ou la vertu : le groupe pourrait tout à fait y jouer. L’ambiance malsaine mêlant histoires louches de proxénètes parisiens dans la fin des années 70, marginalité homosexuelle, chômage, alcoolisme, vies minables, saltimbanques et clowns tristes sous la boule à facettes, c’est aussi ça la moonshine pop. Quelque chose de plus rugueux et torturé, de plus froid et désabusé encore que la sunshine pop n’est légère et sucrée, chaude et optimiste. Vous les entendez là, les gouttes de pluie acides sur le pare-brise de la Renault 14, et le grincement des essuie-glaces, dans la nuit bleu-lavasse ?