« The Best of Allan Holdsworth » ? L’appellation est légèrement exagérée : Against the clock regroupe en fait sur un double album vingt-six morceaux tirés des dix disques enregistrés en leader par le guitariste britannique depuis le milieu des années 1980, de Metal fatigue (1985) à Flat tire (2001). Qu’on ne s’attende donc pas à trouver ici des morceaux issus des albums du groupe I.O.U. (qu’il forme en 1981 avec le batteur Gary Hubsand, le bassiste Paul Carmichael et le chanteur Paul Williams), de ses enregistrements avec Jean-Luc Ponty et Stanley Clarke ou de ses passages chez Soft Machine (Bundles), Nucleus (le groupe du trompettiste Ian Carr, futur biographe de Miles Davis) et Tony Williams (au sein du « Lifetime ») ; pour le « best of » ultime, il faudra attendre un hypothétique coffret couvrant l’ensemble de sa carrière. Il n’est reste pas moins que cette double galette localisée propose un excellent panorama sur les orientations et le talent d’un musicien au statut relativement paradoxal. Son génie guitaristique côtoie en effet un goût pas toujours incontestable de l’environnement sonore et stylistique, d’où la tendance de nombreux critiques à travers le monde à le considérer comme une sorte de dinosaure du jazz-rock dans ce qu’il a pu produire de plus kitsch, incapable de sortir d’un genre aujourd’hui éculé et dans lequel il n’y aurait plus rien à produire. Malgré cette mauvaise fortune critique (à quoi s’ajoute le fait que sa notoriété n’a jamais vraiment été à la hauteur de son talent auprès du public), la plupart des grands guitaristes contemporains sont unanimes pour déclarer qu’Allan Holdsworth est l’un des plus grands virtuoses de l’instrument et qu’il constitue pour eux une référence absolue ; le livret de pochette d’Against the clock joue d’ailleurs abondamment la carte de l’éloge venu d’en haut en reproduisant quelques affirmations signées Pat Metheny (« Allan is one of the greatest guitariste ver. His work on the mid-70s Tony Williams records was revolutionnary and changed everything for the guitarists everywhere »), John McLaughlin (« he still amazes me ») ou Joe Satriani (« he changed the way people play the electric guitar »), manière de rappeler que sous ses allures discrètes, Holdsworth fait partie des musiciens qui comptent dans l’histoire de la guitare (Sylvain Luc, Larry Coryell et feu Frank Zappa n’ont jamais caché leur admiration non plus).
La guitare, un instrument que Holdsworth a pourtant abordé sur le tard, sans avoir jamais eu l’ambition ni l’envie de devenir musicien professionnel (adolescent, il pensait plutôt travailler dans l’électronique et se consacrer à la musique en dilettante, mélomane plutôt que praticien) ; il n’a d’ailleurs jamais fait l’effort d’apprendre le solfège (il est incapable de lire une partition), de potasser les standards ni même de sonner à la porte d’un professeur de guitare : autodidacte parfait, il s’invente des doigtés abracadabrantesques et met au point un système personnel de notation et de repères musicaux qui témoigne d’un goût prononcé pour la théorie et la recherche. Les 26 plages d’Against the clock donnent à entendre son jeu legato incroyablement fluide et rapide dans différents contextes plus ou moins classables sous l’étiquette « jazz-rock et succédanés », le premier disque étant dédié à la guitare électrique, le second à la SynthAxe (une sorte de guitare de commande capable de piloter des synthétiseurs qu’il a été parmi les premiers à utiliser et à exploiter de manière personnelle). La liste des musiciens réunis au fil des pistes donne le tournis (Gordon Beck y côtoie Tony Williams, Gary Husband voisine avec Alan Pasqua, Dave Carpenter avec Vinnie Colaiuta et Gary Novak) ; la vélocité extraterrestre des longues phrases coulantes du leader aussi. Pour les uns, ce jazz-rock clean et sophistiqué sonnera comme une excroissance interminable et inutile aux délires virtuoses stériles des années 1970 et 1980 (quelques sonorités de claviers et de percussions électroniques leur donneront raison) ; pour les autres, la saveur parfois fade du contexte n’enlèvera rien à la phénoménale inventivité mélodique du guitariste, sorte de doux rêveur d’architectures complexes au son immédiatement reconnaissable. On peut aussi balancer entre ces deux verdicts et en conclure que l’énigme Holdsworth reste entière…