Mine de rien, les bons disques de revival ne sont pas tellement légions en electronica. Celui des 80s et de l’electro pop commençant sérieusement à s’essouffler (mettons tout de même à part certains visionnaires qui font évoluer le genre, comme Felix Kubin et toute l’écurie Gagarin/Storage en Allemagne, les frères de D’Arcangelo en Italie ou encore le berlinois Skanfrom), les plus malins s’emparent aujourd’hui de l’electronica du début des 90s, quand Autechre faisait du breakbeat, et Aphex Twin faisait danser les stades. Les vapeurs acides ne s’étaient pas encore estompés, un vague relent indus se faisait encore ressentir dès que le tempo se ralentissait, mélodie rimait forcément avec Detroit, glacial, ou les deux.
Le duo britannique Alder & Elius (un gars, Justin, une fille, Jesika) s’est donc plongé dans son intégrale Intelligent Techno, des compilations Artificial intelligence (qui ont inauguré le Warp que l’on connaît aujourd’hui), aux débuts de R&S. On entendra donc F.U.S.E. (projet romantique de Richie Hawtin), Speedy J, Beaumont Hannant et les Analogue Bubblebath de Richard D.James dans les quatorze essais nostalgiques de ce premier album, sans l’humour un peu crétin qui plombait un peu leur premier EP (également paru sur Skam).
Trois notes romantiques inaugurent Sickness in Gandahar, qui s’embarque vite dans une odyssée electro speedée et minimale, un peu à la manière du Body freefall electronic de Luke Slater. Une bassline humoristique prend le pas, on a un peu peur, puis le romantisme glacial reprend le dessus. Le grand saut temporel est opéré. Luna Pier rappelle le Basscadet d’Autechre, avec ce je-ne-sais-quoi de robotique qui nous fait nous souvenir avec émotion de l’époque où les trouvailles sonores en musique électronique se trouvaient encore du côté du hardware, et pas encore du côté des softwares, quand on pouvait encore visualiser les musiciens tourner les boutons de leur boîtes à rythmes infernales. Hung merci tear est réminiscent de l’Underworld des débuts et de ses nappes profondes, en version light et linéaire, sans les mouvements pachydermiques de la techno. Un minimalisme sec et une traitement aérien des sons, aussi durs qu’ils puissent paraître, habite l’intégralité des morceaux de l’album, et suscite la mélancolie plus que l’excitation. Barretta se la joue carrément futuriste, avec des breakbeats lourds en fond, à la As One ; les filtres d’une boîte à rythmes font imploser les assauts de Terry’s Meditation. Les nappes envahissent tout dans Revolving Squiggle Drum, où, comme son nom l’indique, les percussions virevoltent dans un océan de delay. Alarm Tatter introduit un joli grésillement numérique qui rappelle les expérimentations électrique d’U.R.. Bingo, le morceau qui s’engage, avec son pied et sa mélodie en suspension, est un pur moment de bonheur à la Detroit ; quand la percussion se fait martiale, on s’y croirait. Preclovis amène quelques samples vocaux qui rompent un peu la monotonie d’Avatar blackwolf, qui commençait à faire tourner l’album en rond. Ingenius Allude, très pop, rappellerait presque 808 State, sauf qu’il ne s’emballe jamais, préférant s’enfoncer dans un ambiant posé; Darkest hour, avec sa bassline hardcore, amuse, en préambule au final Realization of Kira, très progressif et très bien construit, jusqu’à l’explosion finale de voix.
Dans l’ensemble, l’album manque toutefois un peu de pics et de surprises. L’utilisation probablement volontaire de matériel limité fait que beaucoup de morceaux finissent par franchement se ressembler (ces nappes rétrofuturistes omniprésentes). Soulignons toutefois l’exploit du duo, qui aura su nous replonger dans l’electronica naissante, sans une fois nous faire même esquisser un sourire, préférant souligner la mélancolie qui habitait cette electronic listening music des débuts (tout comme elle habite la quasi-intégralité des oeuvres New Order). Derrière l’Albion festif ou les boîtes new-yorkaises se cachait en effet un malaise prégnant, une tristesse qui ne s’avouait pas, celle d’un futur qui avait déboulé trop vite. C’est tout le gris pluvieux de Detroit, d’un Berlin à reconstruire ou du nord de l’Angleterre que l’on retrouve ici, en version quasiment immaculée. Pour le prix d’un disque, c’est déjà pas mal.