« Entre tes doigts l’argile prend forme/l’homme de demain sera hors norme/un peu de glaise avant la fournaise qui me durcira ». Voilà les premières bribes, suscurrées, de ce dixième opus officiel du rocker désenchanté. De celui qui conjugue, le verbe haut – tout en métaphores improbables -, amours perdus et gaieté. Comme à son habitude, sa pudeur n’a d’égal que la violence de ses sentiments. Il s’en accommode très bien depuis vingt ans. Et le public, exigeant à ses heures, suit.
Pour cette Fantaisie militaire, Bashung a troqué son blouson de cuir pour la vareuse du soldat-musicien, celui des kiosques à musique faits pour distraire le badaud. Parfois tranchant (le titre éponyme), parfois tout en nuances venimeuses (le délétère Angora), l’album oscille entre tempos fracassés et mélodies pop faussement paisibles (le simple inaugural La nuit je mens). Tout en ligne de fuites, en écriture semi-automatique, crépusculaire, mais laissant une belle place à la dérision (la distance nécessaire par rapport à soi et à l’autre, celle couple à bout portant), il constitue une étape supplémentaire dans un itinéraire déjà riche (Play blessures, Novice, etc.). Passé le cyclone des amours défunts, Bashung signe un adieu à cette vie (bien qu’il existe toujours des « résidus d’amour aveugle ») pour mieux renaître. Forcement sous d’autres latitudes.
Malgré la facilité de certains textes et de quelques musiques qui ne lui ressemblent pas -brassage techno-ambient sur Samuel Hall ou hard sur Mes prisons-, Bashung ne donne aucun signe d’essoufflement. Chanteur vulnérable, mais apaisé, il demeure notre plus bel orfèvre des défaites intimes.