Après l’immense succès de Sourires de loup, coup d’essai époustouflant qui s’était arraché des deux côtés de la Manche, on attendait le deuxième roman de Zadie Smith avec une certaine impatience. L’Homme à l’autographe fait mieux que confirmer son talent : plus dense, plus complexe, il impose une romancière tout simplement plus mûre. L’écriture fine et acérée, l’humour toujours teinté d’ironie donnent le ton ; l’histoire renoue avec les voies d’un grand roman à la trame infiniment variée. Zadie Smith parvient à concilier une indéniable profondeur du propos à une certaine légèreté, mélange rare porté par une langue d’une fluidité et d’une richesse admirables. L’histoire commence par une question : qui est Alex Li-Tandem ? Lui même semble ne pas vraiment le savoir : juif par sa mère, chinois par son père, au croisement de deux univers, il pratique l’étrange métier d’autographiste. Zadie Smith traite ici de l’obsession, de la fascination, de ces vestiges en tous genres de célébrités plus ou moins oubliées qui font courir des milliers de personnes, poussant à la surenchère, minant parfois des existences entières, et, surtout, cachant un vide immense, une faille gigantesque. C’est tout le problème d’Alex Li-Tandem : emprisonné dans une quête identitaire dont il n’a pas conscience, fasciné par une obscure starlette des années 1950 qui refuse de signer tout autographe, il laisse couler sa vie et refuse tout engagement, tout ce qui pourrait lui donner à un moment ou à un autre le sentiment d’être enfin présent, à lui-même comme à ceux qui l’entourent. Et quand il imagine la fin d’une histoire, c’est sur petit écran, devant les vieux films qu’il vénère ; « le miracle du cinéma, c’est qu’il ne brise que si rarement la convention de la fin heureuse. Le miracle plus grand encore, c’est que jamais il ne brise la convention de la fin ».
Autour de lui, Zadie Smith a inventé une foule de personnages hauts en couleurs. Une bande d’amis d’abord, avec un rabbin, un courtier en assurances gay, un loueur de vidéos mystique ; sa girl friend, une princesse africaine qui se ballade avec un pace maker ; Marvin, l’ancien dealer, qui lui dépose son lait chaque matin. S’y ajoutent une prostituée maintenant autographiste, quelques fanatiques du grigri prometteur de fortunes et un rabbin cultissime atteint de nanisme. A leur suite, dans un univers totalement décalé, on passe quelques heures à New York avant de rentrer à Londres, on s’immerge dans des codes qui mêlent kabbale et spiritualités diverses, on se promène sur le net entre deux ventes aux enchères… Avec cet Homme à l’autographe, l’écrivain nous fait vivre un peu plus vite et nous permet de voir le monde différemment, comme un étourdissement. Pour son troisième livre, elle annonce quelque chose de style classique, très XIXe dans la forme, pour une histoire qui se déroulera de nos jours, aux Etats-Unis. Selon ses dires, un roman peut-être plus adulte encore. En attendant, le pari du deuxième est remporté haut-la-main.