Ying Cheng parle à la première personne. Elle raconte l’histoire d’une femme, son histoire peut-être… Quoi qu’il en soit, il semble bien que ce qu’elle raconte lui tienne particulièrement à cœur. Appelons son personnage « le personnage féminin », puisqu’elle ne lui donne pas de nom. Les autres personnages s’appellent S…, A… ou encore le prince et le général. Cette femme, donc, est mariée à A… un architecte cartésien, en quelque sorte, qui la voit peu à peu s’enfermer dans un fantasme qui la fait glisser subtilement dans la schizophrénie, ou en tous les cas dans un passé qui prend progressivement le pas sur ce qu’elle est en train de vivre. A… est un homme qui ne rejette pas l’idée d’enracinement dans quelque chose qui le précède et sans doute le dépasse, mais cherche à maîtriser cette part d’inconnu, à lui donner une cohérence dans ce qu’il est lui-même en train de vivre. Il obéit à son destin, cherchant à le rattraper, à se rapprocher de lui et à l’accepter. Elle, vit dans un passé quelque peu inventé, quelque peu sublimé, et ne veut pas en sortir, préférant rêver à ce qu’elle était ou ce qu’elle aurait pu être.
Lui, cherche à la comprendre, elle, dit que lui cherche à la changer. Elle, dit que lui ne l’aime pas pour ce qu’elle est, ou du moins vivrait mieux sa relation avec elle, si elle ne s’obstinait pas à être autre chose que ce qu’elle voudrait être. Vous avez saisi ? En fait, elle voudrait qu’on la laisse être elle et que les autres ne soient pas eux.
L’histoire oscille entre fantasme et réalité, sans que l’on sache vraiment où est le faux du vrai. On se demande parfois ce à quoi le personnage féminin tend. Elle déplore de ne pas connaître son destin, mais qui connaît son destin ? Elle ne veut pas qu’on la change, mais elle voudrait que A… soit un autre. On ne comprend pas très bien où Ying Cheng veut en venir : son personnage semble se trouver unique au monde, décalé par rapport aux gens qui l’entourent, pensant (un peu naïvement) qu’elle est la seule à se faire des films dans la tête et à douter de la faculté de compréhension de son entourage. Les métaphores et les comparaisons sont un peu convenues, comme par exemple : « Il était un poisson dans l’eau, et la maison du Prince, un très confortable aquarium » ou encore : « on se concentre sur la montée et la descente des vagues, croyant y reconnaître la physionomie de sa propre destinée »…
Certes, son récit est touchant, parce qu’elle décrit un être qui a du mal à se dépatouiller avec son Moi, mais on ne sait pas trop quoi lui dire…