Après Claude François, Mitterrand. Yann Moix a trouvé son truc : faire des romans sur des personnalités kitsch, avec un titre-concept qui commence par un p (Podium, Panthéon) et si possible un film à la clef. On ne sait pas si Panthéon donnera lieu à une adaptation cinématographique (Moix met lui-même la question en scène en imaginant toutes les vingt pages ses conversations téléphoniques avec son pote Pooelvorde), mais de toutes façons, le livre se suffit à lui-même : il y a là-dedans une telle volonté d’aller à la catastrophe, un tel génie assumé pour le ratage, une telle puissance de n’importe quoi qu’il en acquiert ses lettres de noblesse, devenant presque intéressant à force de culot, de mégalomanie et d’infantilisme forcené. A strictement parler, Panthéon parle de Moix beaucoup plus que de Mitterrand ; il ne raconte rien et se résume en une enfilade sketches autobiographiques et de morceaux de bravoure plus ou moins aberrants, l’ensemble formant une espèce d’odyssée narcissique bancale, foireuse et décousue. Tout y est méthodiquement raté, faux, pathétique, fascinant d’aplomb, comme un suicide littéraire à l’oeuvre, conscient et assumé : la langue, avec sa ponctuation expérimentale et ses éruptions de langage texto ; les citations, qui pleuvent sur tout le livre comme si elles tombaient d’une salière mal rebouchée (un petit coup de Reverdy, un petit coup de Mallarmé, du Péguy tant qu’on en veut, avec les références complètes en bas de page) ; les vannes lancées à Bernard Werber, Philippe Djian ou Pierre Michon, gratuites, un peu bêtes, presque drôles d’incongruité ; les phrases ronflantes, toutes plus épatantes les unes que les autres (« Une mère qui te frappe, c’est une mère qui te se frappe », ou mieux : « Ma mère, c’est celle qui a rendu impossible l’impossibilité de ma naissance »)…
Au milieu de ce foutoir euphorique, Mitterrand fait office de prétexte, presque de terrain de jeu : Moix disserte, délire, dérape et se surpasse en permanence, jusqu’à ces passages hallucinants où il parle au nom du fascisme de Mitterrand (« C’est vrai, quoi : les fascismes n’ont jamais le droit de s’exprimer »), puis de sa francisque (« Je suis Francisca, la Francisque de François Mitterrand. Je suis née au début de l’été 1943 »). Ailleurs, il met en parallèle sa propre histoire et celle de l’ancien Président : Yann Moix faisant maths sup sans avoir jamais rien compris à l’algèbre, c’est un peu comme Mitterrand dirigeant la France sans avoir jamais rien compris à l’économie ; Mitterrand a été mobilisé quelques semaines du côté de Verdun en 1939, Moix a fait son service militaire dans le même coin quelques décennies plus tard… Avec sa folie des grandeurs, son nombrilisme et son culot monstre, Panthéon ressemble un peu à la transe d’un môme hyperactif : Moix s’autorise tout, ne recule devant rien, fait suivre les mots « petit enculé » d’un poème de Rimbaud, se cite, donne son opinion sur tous les sujets, éructe un peu, fonce dans les murs et, avec une fierté qui force l’admiration, publie ce bric-à-brac foutraque et fuyant par tous les bouts comme s’il s’agissait d’un chef-d’œuvre. D’une certaine manière, Panthéon se lit presque comme une performance artistique, une ode à l’incompétence et à la mégalomanie. « L’écriture je m’en fous, je n’écris presque jamais : personne ne m’a jamais vu écrire ». On s’en doutait.