Xu Xing est maître en son pays. Ses oeuvres ? Un recueil de nouvelles, Variations sans thèmes (réédité dans la « Petite Bibliothèque » de L’Olivier) et un premier roman, Et tout ce qui reste est pour toi. Peu, en somme ; pourtant, il est pour toute la nouvelle génération d’écrivains chinois une sorte de père spirituel, celui qui peut aider, conseiller, comprendre. Peut-être parce qu’il est l’un des tout premier à s’être lancé là-bas dans une forme de roman intimiste, avec un sens aigu du ridicule et une ironie féroce. Ses héros sont plutôt des anti-héros, perdus dans des univers qui avancent trop vite à leur goût, dominés par le marché, l’argent, la haine ou, pire encore, l’indifférence. Les grandes utopies sont mortes, rien ne viendra donc les remplacer ?
Xu Xing a fait le parcours qu’il décrit dans son livre : d’abord la Chine, puis le Tibet et enfin l’Allemagne, rêve d’Occident, avant de rentrer à Pékin. Son narrateur est comme lui un voyageur, un peu looser. Laissé en plan à Pékin par son meilleur ami parti travailler en Europe, il s’ennuie et décide de le rejoindre. Avant le grand départ, en attente d’un visa, il décide de visiter le Tibet. Trafic de chair fraîche, routiers baroudeurs, villages perdus. La route toujours, jusqu’à ce café dans lequel il se trouve coincé un soir à hurler d’invraisemblables slogans (sous la contrainte) : « Vive le Tibet libre » ! « Dix mille ans de bonheur pour le Dalaï Lama » ! Mais pas « A bas le parti » : impossible. Lorsque sa situation est trop près de s’envenimer, il se dit qu’il est temps de partir vraiment et de rejoindre Xi Yong : ce dernier, après avoir vidé la caisse du restaurant de sa tante pour des motifs hautement louables, puis dépensé une partie de sa fortune en machines à sous, vivote en Allemagne de l’Ouest, amoureux des merveilles de l’occident, à commencer par la petite boulangère d’en face. Une femme mariée. Notre héros découvre peu à peu que rien n’est évident ici non plus, trime quelques temps sur une chaîne de mise en bouteilles, découvre les cauchemars de la prostitution. Un passage inévitable, puisque « quand notre désarroi est trop fort, c’est un jupon que désespérément nous cherchons ». L’Occident miroir aux alouettes est un lieu commun éculé ; le Mur de Berlin va de toute façon bientôt tomber. Vient un moment où le plus sage est sans doute le retour au bercail : mais même à Pékin, plus rien n’est comme avant. La capitale est devenue « une ville digne de ce nom, une métropole internationale ». Seule repère, la vie, « immuable depuis la nuit des temps suit son rythme, s’écoule en un flux malpropre et nauséabond ». Et Xu Xing interroge : « Comment pourrions nous ne pas puer ? ».
Les choses ont changé, le monde avance, tout bouge. Il était temps pour ce livre d’être publié ; des années et des années que Xu Xing y travaille. En fait, il n’est pas vraiment terminé. Il expose, sous l’angle de vue d’un voyageur sans biens, les grands bouleversements de ces dernières années. Il interroge aussi le devenir de la Chine, empire hybride, tentaculaire. Vers quoi allons nous ? Bien sûr, il ne le sait pas. L’écriture le détache du réel. Il témoigne, simplement.