A 45 ans, Mauméjean reste un éclectique qui n’hésite pas à faire le grand écart. Arrivé sur le tard, il navigue sans sourciller du psycho-thriller (Gotham) au fantastique (Blood silver). La SF ne lui fait pas peur (La Vénus anatomique), le roman historique non plus. Pour son huitième roman, il place la barre un cran plus haut avec l’histoire d’un nain originaire d’Europe Centrale qu’un barnum de foire avait acheté pas cher pour l’envoyer peupler une ville miniature par-delà l’océan. Inspiré de faits réels (la vie d’une communauté de nains dans le parc d’attractions de Cosney Island, au début du siècle), Lilliputia rappelle cette anecdote croustillante tirée du tournage du Magicien d’Oz, quand les nombreux nains recrutés aux quatre coins du pays pour composer la troupe des Munchkins, n’en revenant pas de se retrouver enfin entre semblables, s’étaient pris d’une frénésie copulatoire. A Lilliputia, au contraire, l’activité sexuelle la plus débridée est encouragée à grands renforts de cocaïne pour avoir l’air toujours joyeux, et les petits pensionnaires sont fortement incités à l’homosexualité, jugée plus folklorique et plus attractive par les promoteurs du parc. C’est un peu osé, mais que l’on se souvienne que « Ose » est aussi le second nom de Dreamland… Le public en veut pour son argent ; il s’agit de ne pas le décevoir. Elcana l’apprendra à ses dépens : à peine débarqué, notre petit héros est versé aux effectifs de la brigade des sapeurs pompiers pyromanes de la ville, chargés d’allumer des incendies à heures régulières pour pouvoir mieux les éteindre devant la foule ébahie.
Variation sur le thème de la cité utopique idéale, Lilliputia est un roman plein de promesses, qui n’a pas grand chose à envier aux anglo-saxons sur le terrain de la fantasy urbaine bien inspirée. « A l’origine, les Mohicans l’appelaient Kioshk, ce qui signifiait « tromperie ». Peut-être parce que depuis ses berges on peut voir l’Amérique, un pays de rêve que beaucoup ont appris à haïr ». Par delà la naissance de la mythologie américaine, Midget city se veut aussi et surtout une miniature du XXe siècle en gestation, une sorte de laboratoire d’idées où l’apprenti sorcier expérimente autant les merveilles à venir (le Lunar Park, comme un avant-goût de la conquête spatiale) que les pires horreurs de notre modernité. Entre apologie du hot-dog et du Coca-Cola (le corps et le sang des dieux), la logique économique du spectacle ne s’encombre d’aucun bon sentiment quand le Brigadoon hobbit vire au camp de concentration. Le final est un carnage. On n’échappe pas à son destin.
Très attendu, longuement mûri et d’une démesure complètement assumé, ce roman est aussi un peu casse-gueule, forcément : « Pour Lilliputia, j’ai vraiment voulu tester des trucs d’écriture que je n’avais jamais essayé, explique Mauméjean. Pour chaque projet, je mets en place un style, jamais le même parce que je ne pourrais pas adopter une écriture identique pour tous mes romans. Ici, les personnages n’ont pas forcément les réactions qu’il faudrait. En cela, ils sont réalistes. Leur seul dénominateur commun, c’est la petitesse et ce langage plein de fautes de syntaxe, à base d’idiotismes, qui est le leur. Cette écriture faussement simple m’a vraiment pris cinq ans ». Du coup, Lilliputia n’est pas facile d’accès. On mesure bien ce qui le distingue des précédents, mais l’auteur n’échappe pas non plus complètement au piège de sa propre érudition. Jamais avare, il ne ménage pas ses efforts : Coconino Country, Oz, Oui-Oui, Krazy Kat, Dead Rabbits et Blind Pigs sont de la partie, Zeus et Prométhée étant même appelés en renfort de cette fable mi-moderne, mi-classique. Au risque de trop en mettre : Lilliputia se perd un peu sur la longueur, le poulailler craque aux entournures, et la lente mise en place du récit s’avère finalement plus réjouissante que l’imparable déroulement de son intrigue. De plus, la démonstration manque un peu de chaleur. Est-ce pour cela que son épopée laisse froid et que les personnages ne parviennent pas tout à fait à dépasser l’anecdote inaugurale ?
Dommage. Xavier Mauméjean confirme (sans peine) l’originalité de son inspiration, mais cette « tragédie de poche » déçoit in fine les attentes, même celles des plus bienveillants à son égard (mézigue). Au point de susciter le débat jusqu’au sein de Chronic’art : pour ou contre, les avis demeurent partagés… Question de goût. Ni vraiment littérature générale, ni plus tout à fait genre : quoi d’autre ? Et si Lilliputia, publié en pleine rentrée littéraire dans la fameuse collection « Interstices » de Calmann-Lévy, était d’abord victime de son rattachement d’office aux littératures soi-disant transgenres, transfictions, etc. ? « Tartalacrème » post-moderne qui ne signifie pas grand chose auprès du (des) public(s), mais qui n’a pas fini de faire couler de l’encre entre le ghetto et les salons. A vous de voir.