Un patron cynique, Joseph Bel, ferme une usine. L’un de ses employés, licenciés, se jette contre un platane en voiture. Son fils, Marin, se jure de lui rendre justice et de descendre Joseph Bel. Il l’approche, tente de pénétrer son entourage, y parvient ; au bout d’un moment, il devient même l’un des éléments indispensables de l’équipe du PPN, le parti droitier à la tête duquel Bel entend passer des affaires à la politique. Parallèlement à cette histoire, qui se déroule sur les années 1999 et 2000, Xabi Molia en raconte une autre, située, elle, en 2001 : celle de Marin mort et de ses aventures au paradis. En résulte un livre déroutant, bourré de défauts mais passionnant, qui aura demandé sept ans de travail à l’auteur. D’un côté, Reprise des hostilités un polar provincial conventionnel et très bien fichu, dans lequel il est question de politiciens locaux véreux, de vengeance, de famille et d’impuissance ; avec Marin, le héros, et Joseph Bel, le salaud, Molia tient deux personnages très réussis, qu’on imagine volontiers dans le scénario d’un film de Claude Chabrol. Mélange de Tapie (le self-made man touche-à-tout, gagneur, grande gueule et sans scrupules) et de Le Pen local (le discours poujadiste, les allusions racistes, le gros populisme au ras des pâquerettes), le sinistre Joseph Bel est un peu caricatural mais reste tout à fait crédible, même si sa prosopopée extrémiste donne lieu à quelques passages lourdauds, genre regardez-le-vilain-fasciste.
D’un autre côté, Reprise des hostilités est une sorte de bric-à-brac où, à l’intrigue principale dont il vient d’être question, Molia a greffé des pièces rapportées aux allures houellebecquiennes (le titre du livre et ceux des deux parties -« Notions de justice » et « Histoire des vainqueurs »- sont symptomatiques), pas vraiment abouties, pas complètement nécessaires, mais qui cassent le rythme du livre et, en transformant son atmosphère, lui donnent une sorte de supplément d’âme : les aventures de Marin après sa mort accidentelle, donc, dans un paradis en forme de complexe de loisirs bizarroïde où l’on peut négocier son retour sur terre ; et, ici et là, des bouts de textes en vague rapport avec le reste, respirations curieuses qu’on peut choisir de lire ou pas, comme les méditations d’un chauffeur de taxi nommé Yacine ou la biographie de l’agent double Kim Philby. Ni l’une ni l’autre de ces séries de greffons ne dépassent vraiment le stade de l’intention, faute d’être développés ; l’aspect SF, en particulier, est franchement frustrant par son aspect inabouti, partiel, presque superfétatoire. Si l’on veut être (trop) sévère, on dira que Reprise des hostilités est l’archétype du ratage passionnant : un roman ambitieux, truffé d’idées, mais qui échoue à se lâcher complètement et à devenir le « roman-monde » qu’il semble contenir en germe, comme s’il hésitait à sauter le pas. En même temps, il serait injuste : 1) de ne pas reconnaître que ce livre tranche à l’évidence sur la production française ; 2) de ne pas saluer l’audace de Xabi Molia, sa maîtrise (accessoires mis à part, l’intrigue centrale tient la route) et l’originalité de son univers, originalité dont on n’attend désormais qu’une chose : qu’elle s’épanouisse sans freins dans ses prochains romans.