W. T. Vollmann débarque en France avec une littérature brutale, fantasque et dérangée. On a souvent raison de se méfier du bla-bla des éditeurs qui bonimentent leur camelote. Comme la poignée de main molle d’un représentant de commerce, ça transpire la contrevérité de la fourgue malhonnête. Ici, en l’occurrence, on parlait de W. Burroughs et de H. Selby, et aussi, pourquoi pas, de Lou Reed… Or, pour une fois, on aurait tort : on a bien là l' »héritier » d’une certaine veine… Héritage lourd pour notre auteur, mais parfaitement assumé tant par la maîtrise de l’écriture, la monstruosité du style, que par un fort potentiel toxique.
Bref, Vollmann écrit de grands et forts beaux livres, parfaitement honteux et déglingués, et extrêmement pudiques. Sa mécanique mentale est trouble, « queer » (pour reprendre un mot juste, récupéré par le goût du jour, avec trente ans de retard) et scintille comme une nébuleuse étrange, loin du monde et loin de tout, quelque part dans l’univers vide et infini de l’effroi. On peut être effaré de la violence et de l’ironie tranchante, on sera en tout cas empoisonné. Vollmann est un nom supplémentaire à inscrire sur la liste de ces rares nomades (dont on s’étonne qu’ils soient encore en vie), forts d’un robuste tempérament, qui ont franchi la frontière et sauté la ligne en resquillant toutes les légalités de la neuro-infirmerie-psycho-psychiatrie, jugerie et super-flicaillerie qui sévit tout autant dans le monde réel que dans le monde des lettres. C’est une vie après l’orgie, réduite à des réflexes et des conduites élémentaires, un sous-total de possibilités et de conditions extrêmement simplifiées…
On ne discute pas, on ne pense plus, on s’agite et on tourne dans un cercle de feu ; on obéit au magnétisme des points cardinaux, dont le centre est à la fois une ville, un corps et ses organes éparpillés. Le miracle, dans un tel maelström, le corps plombé au physique et au figuré d’explosifs et de feux d’artifice, c’est de pouvoir rester cohérent, et surtout optimiste. Vollmann a réussi. C’est un grand écrivain d’Amérique qui a compris cette finesse : qu’il n’est pas nécessaire, ni de bon goût de chercher à tout prix à se rendre désirable, ou pire encore de se sentir partout comme chez- soi.