Petit retour en arrière. En 1994, Virginie Despentes, 25 ans, « une touche-à-tout dotée d’instabilité qui aime le vin, la dope et le chocolat », publie aux éditions Florent Massot un roman coup de poing, fuite en avant speedée de deux filles dans des voitures volées, qui ne s’arrêtent plus que pour baiser, se shooter, tuer. Un texte où tout va vite, fort et fait mal, entrecoupé des paroles des chansons rock ou rap que débite un walkman -« I want it now, she said I WANT IT NOW ». Ca marque indéniablement, ça s’appelle Baise-moi, ça sera traduit en plus de dix langues. Deux ans plus tard, elle récidive, toujours chez Florent Massot, avec Les Chiennes savantes, un roman plus touffu, plus construit, mais toujours écrit dans ce style d’écorchée vive, où elle se penche sans aucune complaisance sur ce qui se passe « quand les hommes vous la plongent droit dans le ventre. L’irrationnel que ça provoque dedans, l’explosion pleine tête, bien mieux qu’un spliff » : « Je me découvrais le bas-ventre capable de grandes émotions, lui dedans moi, j’avais été conçue pour ça, balbutier, me cambrer et me faire défoncer. » Arrachant toujours ses phrases puissantes à un grand bloc de hargne, Virginie Despentes se fait une voix, un style, un nom.
En 1998, elle publie finalement Les Jolies choses, l’histoire de deux jumelles que tout sépare : la première se suicide, la deuxième se fait passer pour elle et découvre un monde superficiel et hypocrite, labels musicaux, producteurs lubriques, coke à tout va. Virginie Despentes a signé un contrat chez Grasset (dont la sulfureuse réputation d’éditeur trash n’est plus à faire) et le phénomène se dégonfle tout à coup. On attendait une troisième claque qui ferait à nouveau tout chavirer en nous pendant deux cents pages, on trouve un roman vaguement provoc englué dans une psychologie banale, débarrassé de toute l’urgence, la violence, la substance des deux précédents. Notre jumelle, donc, prend la place de sa sœur dans l’univers artificiel où elle aimait séduire et monter sans trop savoir où ça la mènerait. Et devinez quoi ? Elle finit par comprendre que le bonheur, c’est de prendre le pactole le plus vite possible et d’aller voir ailleurs si la vraie vie n’est pas plus belle. Virginie Despentes n’a pourtant pas perdu cette langue rapide, orale, trouvant toujours la voie la moins longue pour dire vite et fort ses sentiments, mais elle tourne en rond dans cette histoire sans intérêt, basée notamment sur l’idée rebattue de la schizophrénie oppressante d’une héroïne qui prend un rôle pour lequel elle n’est pas faite, paralysée par cette vaine volonté de faire comme les autres : des personnages un peu trop humains, inévitablement factices. La Nadine de Baise-moi foutait tout par terre et nous laissait KO ; on oubliera vite la Pauline des Jolies choses, infiniment banale, sans doute un peu trop morale.