Il fut un temps où Vincent Ravalec promettait beaucoup. Catalogué écrivain Libé (mais Vincent Lindon ou Mehdi Bel Kacem y ont survécu), on sentait en lui une inspiration, un sens du réalisme qui se sont manifestement évaporés avec le peu de naïveté qui lui restait. Dans cette expérience mélodramatique (?), pauvre Vincent devient réalisateur. Lui, le thuriféraire de l’authenticité littéraire est alors confronté aux affres du superficiel. La réussite relative de ses courts métrages le lui permettant, il se lance dans la réalisation à grande échelle, The Big game. Alors qu’il projette d’adapter son propre roman Requiem de la fripouille (toute ressemblance avec Cantique de la racaille étant purement fortuite), notre narrateur se retrouve au Lutétia pour négocier avec des stars, mange du homard Chautefeuille, va à l’Aquaboulevard pour se relaxer (un acte révolutionnaire) avant d’échouer à Cannes pour monter les marches du Palais des Festivals, « hôpital caca boudin » d’après Vincent.
Pendant toutes ces pérégrinations dans un milieu hostile, Vincent a fort heureusement emporté avec lui son petit Proust de poche, qui fait office de crucifix pour éloigner les vampires de l’industrie clinquante du cinématographe. Ca donne lieu à des scènes poignantes de sincérité (« … je souriais en supputant les chances qui me restaient de ne pas adhérer au parti communiste dans l’heure, de ne pas sortir en courant acheter un lance-flammes pour revenir hurler, maintenant tu vas avouer enculé que tu n’as jamais lu Proust, que tu t’en fous comme de ta première chaussette de ce que racontent les films que ton système de gros con finance… ») qui laissent à penser que la distance littéraire offre une sécurité nécessaire et suffisante pour se protéger des perfidies mondaines qui sont le socle du monde proustien. Hélas, ce n’est guère le cas de Ravalec, qui se repent maladroitement (voir le petit poème avorté « Cannes, Cannes, Cannes / Toi qui brûles les âmes / En vacances je me fane ») de ces écarts en emmenant à Cannes les Lettres à un jeune poète de Rilke et en citant Proust ad libitum. Mais si Ravalec peut trouver matière à consolation en cette réflexion du grand Marcel (« le temps à venir, vraie perspective des chefs-d’œuvre »), sa production littéraire le rapproche davantage du pathétique peintre Bergotte que de Vinteuil, le compositeur de l’inoubliable petite sonate. Les rares envolées qui lorgnent du côté de Claude Simon (« J’aurais dû avoir le cœur rempli d’espoir, me sentir léger et aérien, faire un premier film et aller à Cannes (…) mais tout cela tombait dans une période troublée, où des choses qui n’avaient rien à voir avec le film m’obscurcissaient en permanence l’esprit (…) j’étais totalement détaché et presque absent (…) les stars se bousculant, François Truffaut et Jean-Pierre Léaud suivant Cocteau, perds pas le vieux disait Léaud à Truffaut en se faufilant à sa suite dans la foule, perds pas le vieux sinon on est fichus… ») sont malheureusement noyées dans un océan de platitude. Et de même que dans la Vie moderne les illustrations d’Anne-Marie Adda relevaient le niveau d’ensemble, de même la quinzaine de dessins de Dupuy et Berberian rendent autrement mieux compte de cette aspect dérisoire des choses, à la manière du meilleur Sempé, que ne souhaiterait le faire Ravalec en 130 pages. « Où était donc l’atypie, où était donc l’o-ri-gi-na-li-té ? » se demande Vincent. On se le demande encore.