Tout, dans ce premier roman, est affaire de musicalité, de rythme. Veronica Vega est cubaine, mais à la différence de Zoe Valdes ou Karla Suarez, elle vit toujours sur son île, comme Wendy Guerra. Partir un point c’est tout est donc un curieux roman de l’exil, vécu de l’intérieur. Partir y est impossible, mais rester s’avère difficile. C’est pourtant le destin de Vero, l’autre Veronica Vega, coincée dans sa banlieue d’Amara, où les bus passent, de temps en temps. Quand peindre devient trop difficile, faute de matériel, elle commence à écrire. A l’origine de son récit, il y a un projet commun, celui d’une histoire à trois voix avec un poète cubain et son amie d’enfance, exilée à Berlin. Le projet avorté, Veronica Vega en a conservé la matière, transformée en un roman fragmenté, qui livre un regard sur le quotidien d’un groupe d’artistes cubains, leurs difficultés à exister, à s’exprimer, à produire sur cette île que tout le monde rêve de quitter, mais où certains n’ont d’autre choix que rester. Comme un symbole : les premières lignes que Veronica Vega écrit occupent les pages vierges d’un passeport sur lequel elle n’a jamais pu obtenir qu’un visa pour les Etats-Unis soit tamponné.
Partir un point c’est tout, c’est son histoire, son quotidien de mère, de fille, d’artiste, le père de son fils parti en Espagne, son père exilé à New York, ses amis à Berlin, les soirées d’artistes, musique, poésie, le tour du monde imaginaire qu’elle vit depuis toujours, alors qu’à Cuba, sortir de son quartier d’Alamar s’apparente à un exploit quotidien. Le temps s’éparpille, les lieux, les gens également ; le portrait dressé est celui d’une vie ordinaire, juste un peu à la marge, sans cesse heurtée aux verrous d’un système où tout est codifié (les mésaventures de Kabir, son fils, qui passe d’une école à l’autre parce que ses institutrices ne tolèrent pas ses longs cheveux, sont exemplaires d’absurdité) et qui ne laisse qu’une liberté fragmentaire.
Toute la vie de Vero, c’est cette aspiration à la liberté, noyée sous une langueur mélancolique. « La femme de mon roman attend auprès de moi que les images se remettent en mouvement, comme dans ce tableau de Van Eyck qui m’obsède : le chancelier près de la vierge et, au fond, une ville imaginaire par où l’on pourrait s’échapper (comme ce peintre qui d’après la légende avait fui le palais pour ne pas succomber à la nostalgie de son village). S’échapper car on peut succomber à n’importe qu’elle nostalgie, courir sous cette lumière atemporelle où le présent, neutre, tamisé, est une surface amorphe. Et interminable ». Et la conviction en définitive fermement ancrée au plus profond d’elle-même que l’exil n’est qu’une illusion, battue en brèche par les habitudes, par la vie.