Mêlez une dose d’horreur lovecraftienne à une pincée de hard science, saupoudrez de thriller médiéval et d’érudition historique, plongez le tout dans un tourbillon temporel et faites douer la décoction par la bonne fée littérature populaire, puis trempez-y la plume de la contestation ; noircissez des lieues de parchemins infestées de cauchemars modernes et hantées par une créature infâme et fascinante, reliez l’ensemble et vous obtiendrez les inestimables grimoires de Valerio Evangelisti, chef de file de la nouvelle science-fiction italienne et alchimiste des genres. Le virtuose se place lui-même dans le voisinage de Maurice Dantec et semble vouloir s’extirper du carcan des classifications en privilégiant les expériences littéraires.
La première aventure de son diable de dominicain, Nicolas Eymerich, inquisiteur, nous projette au cœur d’un nexus spatio-temporel où s’interpénètrent l’Espagne de la Reconquista encore enfiévrée de frénésie païenne et l’odyssée d’un vaisseau du 22e siècle -baptisé Malpertuis- propulsé par l’énergie psychique. Cet hommage évident à Jean Ray est, en partie, la clé de l’intrigue qui, bien que rondement menée, m’enthousiasme moins que la personnalité subtile et fouillée d’Eymerich. En effet, l’inquisiteur a troqué la croix contre l’épée, la raison le guide, et non la foi. Il ne combat pas les hérétiques pour leurs divergences mais parce qu’ils sont source de désordre dans le monde d’ordre et de discipline qu’il tente, avec l’Église, d’instaurer. Originale figure christique en négatif, il sert moins Dieu que l’Histoire. A chacune de ses enquêtes, c’est le sens de celle-ci qui se joue.
Eric Meary