Sans doute le meilleur premier roman de cette rentrée. Chronique d’époque, regard sur trois décennies de vie sociale et idéologique, La Meilleure part des hommes est une sorte de roman choral dans lequel Garcia cherche à peindre une facette des années 1980 et 1990, autour de quelques thèmes clefs : le Sida, les intellectuels, l’homosexualité et les homosexuels et, sous-jacent à tout ça, la mort des utopies et la conversion de la gauche au principe de réalité.
L’histoire est racontée par Elisabeth, journaliste, et tourne autour de trois personnages : Leibowitz, intello de gauche, conscience morale du PS ; Dominique Rossi, ancien gauchiste, pionnier de la cause homo, séropositif, icône de la lutte contre la maladie ; et William, jeune artiste un peu chien fou, ex-amant de Dominique, adepte du sexe non-protégé et aujourd’hui ennemi juré de son ancien compagnon, à ses yeux embourgeoisé et compromis (dans ces figures composites, mais aussi dans tous les détails, se retrouvent des traits empruntés au réel : on reconnaît plus ou moins Dustan, Lestrade, Act-Up, Gai-Pied, etc., mais sans correspondance terme à terme). A travers la haine que se vouent William et Dominique, Tristan Garcia raconte les clivages de la communauté homo à l’heure de l’épidémie (institutionnalisation obligée vs. maintien de l’anarchisme primitif, responsabilisation et coopération avec les autorités vs. subversion du système) et, plus généralement, tout une séquence de l’histoire sociale récente.
En dépit de ses références envahissantes (Foucault toutes les trois pages, la narratrice qui travaille forcément à Libé, etc.) et de son côté Téchiné-like un peu scolaire, La Meilleure part des hommes impressionne par sa maîtrise, son souffle, l’ampleur de son regard sur son sujet, sa capacité à capturer l’époque à travers ses personnages. A suivre, assurément.