Les nouvelles de La Nuit en question évoquent la solitude de l’homme, l’incohérence de l’existence, la mort et son absurdité, le tout à travers des personnages aux vies ordinaires, d’autres un peu moins, mais tous soumis à la quotidienneté. Voici un homme obsédé par une femme qu’il connaît à peine et cherche à approcher par tous les moyens, sans raison valable ; un autre, tué sottement par un braqueur de banque parce qu’il a maladroitement interprété le sourire venu se glisser sur ses lèvres ; ou celui-là, en mal de reconnaissance, capable de répandre la nouvelle de sa mort pour recueillir les éloges funèbres et se sentir revivre auprès des uns et des autres. Chez tous ces personnages apparaît la même incapacité à maîtriser le réel : tous semblent vouloir se jeter dans la gueule du malheur, à l’image de ce soldat dominé par l’orgueil qui, bêtement, se laisse torturer par son supérieur.
Ballottés par des désirs irrépressibles, perdus, sujets à des maladresses graves et fatales, les héros de Wolff font partie du spectacle absurde de la vie où tout perd son sens, où les caprices supplantent la raison, où la conscience s’enfuit et où l’on comprend qu’envies et réalité, souvent, ne font pas bon ménage. Ils ont beau chercher un peu de réconfort chez autrui, se rapprocher de leurs semblables, ceux-ci inexorablement s’échappent – ou bien meurent, parce que la vie est ainsi faite. L’homme est seul et devient son propre ami : voilà ce que l’on comprend.
Ecrits dans une langue dépouillée et simple, ces quinze récits laissent souvent le lecteur sur sa faim à cause de leur dénouement. Malgré leurs qualités certaines, ils échouent à retenir constamment l’attention, peut-être parce que leur décor quotidien est par trop familier et qu’il évacue toute forme de surprise et d’évasion. On se doute que c’est voulu, et que ça sert le propos ; reste que même délibérée, la quotidienneté n’est guère palpitante. A ces nouvelles manquent peut-être les ellipses, les non-dits et le détachement presque cruel d’un Carver. Le lecteur de Tobias Wolff devient le spectateur trop tranquille d’une réalité qui lui demeure paradoxalement lointaine, sans que le frisson d’une incursion inquiète, insidieuse dans l’âpreté souterraine de la vie quotidienne, ne le parcoure jamais au détour d’un silence.