Dernier roman de Timothy Findley, disparu en juin dernier à l’âge de 71 ans, Les Robes bleues est aussi le plus ancré dans le milieu de ce que l’on pourrait appeler sa première vie : le théâtre. Le canadien aimait en effet à rappeler que c’est sur les planches de Broadway et de Londres (il fut danseur puis acteur, et travailla sous la direction d’un certain Peter Brook) qu’avait commencé sa carrière artistique, même s’il s’était tourné vers l’écriture dès les années soixante avec Le Dernier des fous. Deux ombres tutélaires rôdent sur les 400 pages de cette fantaisie où se mêlent étude de mœurs, peinture sociale et drame conjugal : celle de W.H. Auden, tout d’abord, de l’œuvre duquel sont tirées les exergues de tous les chapitres ; celle de l’incontournable William Shakespeare, ensuite, sur les dialogues duquel les héros de Findley travaillent sans relâche (au programme : Beaucoup de bruit pour rien et Richard III, notamment). L’action ne se déroule pas à Stratford-sur-Avon (dans l’Ontario, au Canada) par hasard : la ville est réputée pour son Festival, et le romancier lui-même y a longtemps vécu, en alternance avec sa résidence provençale.
Un couple, donc : Griffin est comédien, Jane décoratrice ; tous deux rayonnent d’un bonheur apparemment sans faille, à peine nuancé par les tracas banals qui font le piment de la vie conjugale. Les Kincaid ont un train de vie élevé, un gosse de sept ans, une nourrice dévouée et, à l’occasion, un jardinier consciencieux. A tel point d’ailleurs que l’un de ses coups de bêche, mal placé, sectionne les câbles du téléphone. Incident fatal : le roman peut basculer, et Findley multiplier les clins d’œil en élaborant un scénario nourri de quiproquos et de retournements on ne peut plus théâtraux. Un coup de fil décisif ne peut pas être reçu au bon moment ; un metteur en scène gay et influent prend Griffin sous sa coupe et le soustrait à sa femme ; celle-ci, par contrecoup, s’amourache du jeune homme que lui envoie la Bell… Le résultat, pour être impeccablement ficelé, n’est à la vérité pas très crédible ; on n’en goûte pas moins avec plaisir le talent du romancier canadien à camper des personnages complexes et, surtout, à dépeindre par le menu les us et coutumes d’un univers qu’il connaît à la perfection. Envies et rivalités, jeux de pouvoir et de séduction, mensonges et faux-semblants : les coulisses du théâtre selon Findley valent le coup d’œil, et lui donnent l’occasion d’accentuer au maximum l’aspect dramatique de son écriture (phrases extrêmement courtes, à la manière d’un synopsis ; prépondérance des dialogues). L’occasion, aussi, d’aborder quelques uns de ses thèmes de prédilection, à commencer par l’homosexualité -non sans humour et distance, d’ailleurs, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. Sa lecture des mœurs en cours dans la société du théâtre s’éclaire avec le pathétique contrepoint qu’en forme l’affaire Clinton-Lewinsky, dont les navrantes péripéties rythment l’intrigue. C’est d’ailleurs elles qu’évoque le titre français (Spadework, en V.O.), allusion à la fameuse robe bleue souillée de semence présidentielle que la stagiaire aux grandes dents prétendait détenir…
Sans doute ce dernier roman n’est-il pas le meilleur de Findley, dont on pourra préférer le monumental Pilgrim ou le splendide Nos adieux ; on aurait cependant tort de se priver de la grâce élégante de sa plume, de sa discrète ironie et, pour les inconditionnels, des nombreux indices biographiques et personnels qu’il semble y avoir laissé. La vie qui y palpite en fait cependant tout sauf un testament.