Les enfants de Tim Burton sont effarants et épouvantables. Sortis du néant ou transpirés d’un délirium huileux et sombre, ils sont tous accablés des tares les plus graves. Schizophrènes, psychotiques, autistes, tombés de nulle part, ou nés par accident, tordus, immensément seuls, ce sont de pauvres petites choses, des objets dotés d’une âme et d’une innocence sidérale. Au gré de ces histoires, ils font trois petits tours, le temps d’une ritournelle cynique et brutale, et puis s’en vont, en général vers la mort, sans en demander plus en partage.
Robot Boy est l’enfant de monsieur et madame Smith, « une vie sans heurt, mari et femme, tout ce qu’il y a de normal, le bonheur ». Or, à la naissance, le docteur apprend à Mr Smith qu’il est gros cocu ; que le vrai père, selon toute apparence, est un mixer à micro-ondes… « Le bonheur des Smith tomba à l’eau (…) Il ne lui pardonna jamais son union sans âme, son rapport sexuel, avec un instrument de cuisine usuel. » L’Enfant Robot grandit, devint jeune homme, et servit le plus souvent de boîte à détritus. Une autre petite fille résume son existence à fixer, fixer, fixer du regard ; elle remporte sans peine le 1er prix du concours local des yeux fixes… Dans la catégorie des super-héros, l’Enfant tache avait la super aptitude à faire grimper jusqu’au ciel sa note de blanchisserie. Voodoo Girl a le cœur transpercé d’épingles, et dès qu’on l’approche, les épingles s’enfoncent plus profondément encore, triste sort… Au chapitre écologie, on trouve Ludovic, l’Enfant toxique qui mourut du jour où on le mit dans le jardin en pleine nature ; et encore Justine qui reniflait de la colle à rustine. Le Bébé-Ancre est si pesant qu’il finit par entraîner sa mère au fond de l’océan, à défaut d’avoir exaucé son voeu, etc.
Un ballet de tristes destins salement ratés, achevés avant d’avoir commencé ; envoûtements technologiques obscurs, atroces et douloureux ; empire de l’objet, de la machine et de leurs irrémédiables pollutions ; avortement généralisé de toute vie et de tout espoir… Tim Burton laisse éclore sur la page des fleurs artificielles et étrangement vénéneuses qui fascinent et repoussent à la fois. Edition bilingue, le texte est habilement traduit par René Belletto, et les illustrations aussi ensorcelantes que les brèves et tragiques vitae.