Souvent, dans les textes de McGuane, les personnages ne connaissent pas grand-chose d’eux-mêmes. Pour chacun, la surprise est de mise face aux aléas de l’existence. C’est ce qui arrive dans « Gallatin Canyon », nouvelle à la mise en scène rigoureuse : un homme et une femme, la nuit, après une journée raisonnablement pénible, en voiture sur une route déserte, sont poursuivis par un chauffard manifestement fou. Quel meilleur scénario pour piéger les sentiments, exacerber les craintes, voir jusqu’où chacun peut aller quand la peur prend le pas sur le reste ? Et quelle meilleure occasion pour placer un deuxième topos de l’oeuvre de McGuane, la question de la pérennité du couple, la façon de séduire puis garder à ses côtés la femme qu’on a choisi ? On trouve tout cela dans ce recueil, et bien plus. De sa vie passée un temps à Key West, puis aujourd’hui dans le Montana, McGuane tire les images des lieux où il nous entraîne, avec son talent habituel pour décrire les grands espaces et la vie en plein air. Il est aussi question ici, sur un mode de dérision, de ses origines irlandaises, qui explosent dans « L’enfant prodige », un court texte mêlant humour, sarcasme, lucidité et affection : « Parmi toutes les idées reçues sur les Irlandais, il y a le cliché selon lequel ils auraient le sens de l’humour. Ils n’ont aucun sens de l’humour. Ils ont le sens du ridicule. Et en voici une autre. Si le whisky ne les en empêchait pas, les Irlandais seraient les maîtres du monde. Le seul moment où ils ont une once de charme, c’est quand ils sont ivres. Et quand ils sont à jeun, non seulement ils ne sont les maîtres de rien du tout, mais en plus ils tournent en ridicule les espoirs et les rêves de l’humanité ».
Grande gueule et gros coeur, McGuane, avec ses convictions profondes, sa façon de raconter en vrac l’Amérique. Ses personnages ont l’alcool facile et croient parfois la vodka sans odeur, meilleur alibi pour en abuser ; ils ont la déprime au bord des lèvres, la fatigue de ceux qui ne savent pas où ils vont. Forts en gueule, en perdition dans un monde qui les dépasse, loosers dans une société qu’ils regardent avancer plus vite qu’eux. Comme d’habitude, le mythe est là. Mais écorné. Gueule de bois pour idées en berne. Vous voulez rêver ? Allez-y, mais il va falloir une bonne dose d’imagination. McGuane a décidé de titiller ses gens là où ils ont mal. Là où ça dérange, là où force est de se dire qu’encore une fois la Nature somptueuse va gagner, alors que la Reine Civilisation se crève pour pas grand-chose. Ecolo writer ou peintre de la décadente Amérique ? On est bien en déroute ici, comme l’indique le titre du recueil, perdu entre des souvenirs qui s’estompent et un avenir qui fuit vers l’avant. « Réfugié » ne trouve pas la paix, même au milieu des mers ; la solitude, au contraire, l’oblige à affronter ses vieux démons. Personne ne viendra sauver la mise : ni cet homme qui se laisse couler dans un rêve éveillé, en laissant passer celle qu’il aurait pu épouser ; ni ce cow-boy, ex taulard embauché au rabais, qui ne convaincra personne d’autre que son patron de sa valeur, condamné à un exil permanent ; ni ce retraité de retour au pays, qui ne retrouve rien des souvenirs emmagasinés dans sa mémoire et ne peut même plus compter sur sa famille ; ni non plus ce couple perdu dans une forêt, sur la côte Pacifique, tentant de mettre la main sur un précieux totem indien à vendre à un antiquaire dealer. Alors, non : on ne peut pas dire à la fin que tout s’arrange, ni que McGuane fasse montre d’un optimisme à toute épreuve. Il ne mâche pas ses mots, ruine les espoirs naissants. Le passé est loin, qu’on ne peut rattraper, et l’avenir bien triste : alors, on va de l’avant, sans avoir réellement le choix. A croire que parfois, même le refuge des grands espaces serait insuffisamment rédempteur.