De nationalité belge, Gunzig a la plume aussi ravageuse qu’hilarante. Derrière le regard faussement candide qu’il promène sur le monde se cache un témoin rompu au soupçon, une conscience toujours en éveil : « à part moi, personne n’est mort », dit-il. Soyez sûr qu’à la question de savoir pourquoi il écrit, il ne s’embarrassera pas de savantes circonlocutions : Il y avait quelque chose dans le noir qu’on n’avait pas vu. Depuis 1993, année de la publication de son premier recueil de nouvelles (Situation instable penchant vers le mois d’août), il fonde justement sur la loi d’improbabilité des équilibres la vision du monde qui est la sienne, avec sa galerie de laissés-pour-compte du consumérisme moderne, ses Belges condamnés à n’être que ce qu’ils sont, là où l’héroïsme et le bonheur semblent ne pouvoir exister pour eux que dans l’univers décalé des rêves.
Le recueil Royaumes explore trois variantes d’un commun préalable : la Belgique est mortifère (« La petite Belgique schizophrène », y est-il écrit). Si les pauvres diables qui sont les « héros » des deux premières nouvelles (Le Grand duc et Le Petit Prince) finissent par sombrer dans la déchéance après avoir cru aux mirages d’impossibles épiphanies, un seul coupable est à désigner : le royaume du défunt roi Baudoin. Avec lui, point de salut, pas plus qu’il n’existera jamais rédemption pour ces créatures jumelles errant dans la poix d’un éternel crachin. Voir ce témoignage extrait de la troisième variante (La comtesse), dont l’héroïne est… une catastrophe, survenue aux thermes de Spa : « La Belgique et le lent pourrissement autorisent, je crois, la comparaison avec un estomac de porc oublié par un boucher. Gonflant d’abord peu à peu puis soudain éclatant, sans bruit mais dans une épouvantable odeur de sang cuit, soulevant les cœurs les plus endurcis, faisant fuir les rôdeurs. »
Le Plus petit zoo du monde donne dans un registre plus léger. Sept fictions où, parmi les plus significatives, il est question successivement d’un cadavre de girafe retrouvé un matin au fond d’un bassin, d’une vache muée en femme candidate au mariage par un bidouilleur de chromosome, d’un koala indélogeable de l’armoire d’une chambre d’hôtel, d’un homme à tête de chien qui se prend pour un roi, d’un ours, d’un coucou, d’un frelon, d’une rainette orchestrant symboliquement les principales séquences d’un étrange plan de recouvrement visant Bruce Lee. Pour autant, Gunzig ne renonce pas à stigmatiser son époque, par exemple dans cette nouvelle où il relate le périple amoureux d’un solitaire pris au piège d’une modernité qui le fera basculer peu à peu dans la démence (Le Chien de traîneau). Reste que Gunzig n’est jamais aussi passionnant que lorsqu’il lâche la bride à son imagination : de ce point de vue, si ce petit bestiaire convainc peut-être davantage que Royaumes, conçu comme un réquisitoire radical contre la Belgique, c’est que le lecteur y admire l’art d’un conteur sachant ménager ses effets, où la poésie et la farce la plus saugrenue le disputent toujours au réalisme le plus prosaïque, en imposant au fil des pages l’évidence d’un univers vraiment original.