Si ce n’est lui, c’est donc son frère. Deuxième génie de la trinité Powys et cadet de John Cowper (voir Chronic’art # 2), Theodore Francis (1875 – 1953) ne fut ni le plus mobile, ni le moins excentrique de la fratrie. Tandis que les Powys se dispersent aux quatre coins du monde, lui prend très vite racine dans la campagne anglaise où, après de vaines tentatives agricoles, il épouse une brave jeune fille du Dorset (« Je ne veux pas d’intellectuelle, je n’aime pas les dames du monde »), se laisse pousser une moustache qui le fait ressembler à Nietzsche et commence à écrire. Son premier texte, Une Interprétation de la Genèse, sera publié à compte d’auteur en 1907 ; suivront nombre de romans qui, lorsqu’ils ne seront pas purement et simplement refusés, resteront de mémorables échecs (« Mark Only m’a rapporté sept shillings de droits d’auteur »). Il faudra attendre les années trente pour que ses curieux récits bucoliques, où l’on rencontre sous différents noms une poignée de mêmes personnages allégoriques et un petit bourg éternel garni de cottages, de fermes et de vertes plaines, trouvent enfin preneur : les voies très particulières de sa religiosité personnelle lui vaudront alors une sulfureuse réputation de blasphémateur bon teint et scandaleux. Il faut dire que Theodore n’aime rien tant que de faire descendre Dieu en personne dans ses romans et lui donner les traits d’un sympathique rétameur ambulant ou d’un marchand de vin colportant sa marchandise dans une vieille Ford, avec le fidèle archange Michel sur le siège passager. Ailleurs, c’est la Mort qui perd son ordre de mission sur un chemin de campagne et tue le temps en aiguisant sa faux ou en courant les filles dans les collines… Theodore Francis Powys chassera sa vie durant « un oiseau vraiment sauvage, un oiseau qui vole en zigzag », selon l’expression de son frère Llewelyn : « il chasse Dieu ».
Publié en 1935 et traduit quinze ans plus tard chez Gallimard par les bons soins d’Henri Fluchère, qui remua terre et ciel pour faire connaître l’auteur du Bon Vin de Monsieur Weston hors de frontières britanniques, Le Capitaine Patch offre une excellente introduction à l’univers décalé et faussement naïf de ce conteur habile, dont on ne sait jamais trop comment percevoir l’humour piquant et l’extraordinaire malice. Bienvenue, donc, dans une campagne nonchalante où les fermiers cachent leurs shillings sous leur matelas, où le Révérend rédige la biographie des Rois d’Angleterre et où d’honnêtes bûcherons sont fiers de posséder une coûteuse « veste du dimanche » ; en une vingtaine de fables d’une rustique simplicité, Powys campe autant de personnages à la psychologie enfantine, empêtrés dans des drames absurdes ou cocasses d’où sourd, au gré de chutes immorales ou tragiques, un singulier regard sur l’existence et la cosmologie religieuse dont les hommes n’ont jamais pu s’empêcher de l’entourer. On ne saurait résumer mieux que l’auteur lui-même, que le fait chaque fois avec une admirable concision, l’une de ces histoires allégoriques truffées de références bibliques, paraboles en négatif où la moquerie et l’irrévérence le disputent à la tendresse.