« La réconciliation avec le mythe est le thème même de la philosophie de Walter Benjamin ». Un disciple parle et tout, en substance, est dit. Il s’agit de Theodor Wiesengrund Adorno, qui s’occupa de l’édition posthume des œuvres (correspondance comprise) du philosophe allemand. Un philosophe d’une espèce particulière, plutôt rare en ce siècle, puisque résolument inclassable, irrécupérable du fait même de son anti-idéalisme, de son refus d’être rattaché à une quelconque école et de sa méfiance vis à vis des philosophies abstraites. S’étant battu contre l’ordre existant (y compris celui des classifications faites par ses pairs), Walter Benjamin passa pour un trublion. Car au cœur de sa pensée critique se trouve la poésie, une véritable réflexion sur la poétique. Entretenant un rapport privilégié au passé (l’utilisation de la citation dans ses livres résume sa faculté extraordinaire à arracher d’un contexte figé celle-ci pour mettre en mouvement l’objet qu’il évoque et ainsi lui rendre une existence propre) et pleinement conscient de la perte de l’autorité et de la tradition, il s’attache à la force de la singularité, de l’exemple… sans prétendre en tirer des lois universelles. Une règle d’irrégulier à laquelle il ne dérogea pas.
Dans ces textes épars, livrés à des revues ou écrits pour des communications, suivis d’une correspondance, Adorno se trouve au plus proche de la problématique de Benjamin. Sur Walter Benjamin constitue en effet une « introduction aux écrits » féconde, une clé ouvrant les portes de l’œuvre et permettant de gagner en compréhension sur l’œuvre. On arrêtera là l’éloge fait à Adorno, car ce florilège de textes d’une acuité redoutable, tels un tir groupé au cœur du Sens, n’auraient pas vu le jour sans l’enseignement du maître (donnée à laquelle, en toute élégance, il se soustrait lui-même sans rechigner). Aussi apprend-on que la gloire ne fut jamais au rendez-vous du vivant du philosophe. Pas plus que les honneurs, qu’il refusa, comme il se tint à l’écart des cénacles, sachant que la « richesse » menace l’autonomie de la pensée. Et seule la malchance, à un passage de frontière entre la France et l’Espagne (Benjamin souhaitait regagner les Etats-Unis en 1940), le rejoignit. Un esprit libre, l’un des seuls du siècle, succomba dans l’indifférence générale.
Aujourd’hui, il continuerait à être regrettable que ses écrits ne sortent pas du purgatoire où ils se trouvent. Cet essai peut contribuer à lever le voile sur ce malentendu. « C’est à travers les malentendus que se communique l’incommunicable ». Ce livre n’en est pas un.