Figure majeure de l’école de Francfort, Theodor Adorno (1903-1969) reste une figure emblématique de la philosophie d’après la seconde guerre mondiale. Voulant dans sa philosophie politique dépasser la dialectique marxiste, sa pensée s’écarte des valeurs bourgeoises autant que des dogmes totalitaires. L’Art et les arts, recueil de quatre conférences, s’échelonne sur la dernière période de ce que l’on appelle la pensée tardive d’un philosophe. Face à une réflexion (trop) souvent hégélienne qui prédomine jusqu’alors en esthétique, Adorno entame une rupture avec la soi-disant valeur de l’Art et de l’œuvre. Ce questionnement des valeurs séculaires, proche de Nietzsche, demeure aujourd’hui encore, une base fondamentale pour le questionnement de l’art contemporain.
Premier texte datant de 1960, Sans paradigme part du constat de ce qu’il nomme l’ »effrangement », soit la perte de la spécificité d’un genre artistique par rapport aux autres. Dès lors que la peinture se nourrit de musique (comme chez Paul Klee), ou que la sculpture tend vers l’architecture, le questionnement de l’oeuvre perd sa grille spécifique d’évaluations. L’art rentre dans sa pleine « qualité » contemporaine ; ce foisonnement formel et conceptuel, si suspect aux yeux du grand public. Cette négation d’un quelconque paradigme, constitue sans doute un événement majeur pour l’esthétique actuelle.
L’Art et les arts qui lègue son titre au livre, soulève une réflexion plus affirmée. Les notions de style et de matériau artistique se voient ici décriées. Adorno pose le problème de leur insuffisance en tant qu’outils critiques dès qu’ils se frottent à l’hétérogénéité de l’œuvre. Cette nature hétérogène se retrouve dans Le Fonctionnalisme aujourd’hui, appliquée ici à l’architecture. Qu’implique réellement le fait de donner une qualité artistique aux objets utilitaires ? A la problématique du style soulevée précédemment, Adorno oppose celle d’ornement. Ce concept, en dernier ressort est étudié dans le dernier texte : Du mauvais usage du baroque. A une philosophie méthodique, Adorno oppose une pensée fragmentaire, sans doute plus proche de la nature même de l’art actuel. Dans une langue précise, débarrassée d’un jargon conceptuel obscur, il esquisse à grands traits les fondements d’une réflexion esthétique toujours en vigueur.