Outlaw essentiel des lettres américaines dont on retrouve jusqu’au faciès sur la pochette de Sgt Pepper’s lonely hearts club band, Terry Southern (1924-1995) fut de tous les grands coups et de toutes les cadences de la contre-culture US des années 50 et 60. Ami de Cocteau et Peter Matthiessen à Paris à la fin des années 40, héros du tout New York littéraire dans les années 50, complice de Girodias (qu’il convainc de publier le Festin nu de son ami Burroughs) et inventeur du gonzo à Esquire ou Harper’s bazaar, il est surtout connu chez nous pour son coup satirique Candy et pour son travail au cinéma (il a participé aux scénarios de Dr Folamour, Easy rider ou Casino royale).
Ce grand-frère éternel a traversé les cénacles et les gangs (les Beat, surtout) sans jamais se laisser attraper et son oeuvre littéraire, riche de cinq romans et de cet indispensable Texas Marijuana et autres saveurs, échappe à toutes les arborescences identifiées de la littérature américaine. Se perdre dans ces 24 nouvelles et articles rédigés entre 55 et 67 est donc une belle aubaine, démultipliée par leur découverte en masse cinq décennies plus tard – d’autant que cette première édition française bénéficie d’un gros travail d’adaptation de François Happe, spécialiste de DeLillo. C’est que l’Américain, dévoué au très socratique credo de l’étonnement permanent, s’éparpille pour mieux éblouir : évocations autobiographiques des premiers « chagrins déconcertants » de son enfance texane, petites satires très cruelles sur les « amateurs de nègres professionnels », reportages cabossés, défonce dadaïste ou allégories floues confinant au sublime… Southern fait le grand écart entre les instants métaphysiques de Poe et les commentaires raz-du-bitume du nouveau journalisme : leurs combinaisons en abyme est un ravissement.