Incontestablement, Takeshi Kitano se méfie de la littérature. Tous ces mots jetés sur du papier ne l’impressionnent pas. On ne lui donnera pas tort : il suffit de voir l’un de ses films pour comprendre que ces efforts sont inutiles quand on peut réaliser, au cinématographe, une scène où tout apparaît d’un seul coup : cadre, ambiance, couleurs, personnages, etc. En retour, l’homme fait preuve d’humour -une arme qu’il aime aussi retourner contre lui. Pour écrire ce roman, il s’est fié à ses souvenirs, et a délaissé (sauf à les mentionner de temps à autre) ceux qui pourraient être ses pairs (des écrivains nippons reconnus). Car son ambition est autre. De ce fait, il n’éprouve aucune méfiance vis à vis de son personnage principal, puisque c’est lui-même qu’il met en scène dans cette histoire. Elle tient en deux lignes : l’ascension d’un jeune homme maladroit, mais déterminé, voulant atteindre le haut de l’affiche au plus vite, et y arrivant (mais moins vite que prévu). A ses débuts, sa sensibilité se résumait à cette devise : « réfléchir mais seulement après avoir agi ». Deux cents pages plus loin sa démarche ne sera pas forcément différente, bien qu’il ait pris soin, entre-temps, d’affiner son art.
Lorsqu’il a écrit des passages de Asakusa Kid, Kitano pensait certainement aux images qu’il aurait pu en tourner. Du reste, sa méthode est identique : les scènes « calmes » sont souvent porteuses de violence. Tout explose en un rien de temps, avant que l’on passe à la scène suivante. Et ainsi de suite. Ici, sa caméra-stylo se balade entre deux lieux du sixième arrondissement de Tokyo, se focalise sur ses confrontations incessantes, mais toujours avec le plus grand respect envers lui, avec son maître Fukami, et s’approche au plus près des jambes des danseuses et des strip-teaseuses du Français, le théâtre où il fait ses premières armes comme comique. Que les rues soient peuplées de yakusa et de belles endormies, cela ne surprendra personne. Ce territoire leur appartient. Plus surprenant est la manière dont Kitano en parle : si nous retrouvons son art des cadrages serrés, des descriptions cliniques, sans épanchement, et des dialogues minimalistes, sa narration manque cependant de reliefs. Et en fin de compte, ce roman d’apprentissage « réaliste » -cette réalité ne cadrant pas avec la bonne vieille réalité occidentale- déçoit par ce qui aurait dû être sa principale force : la simplicité. Tout ce qui appartient à une veine personnelle -prenons une phrase au hasard : « Quelqu’un qui n’a ni pudeur ni timidité ne peut devenir un comédien comique »- fonctionne, mais l’auteur reste dans ces limites. Son secret est peut-être là.