Le temps d’une sonnerie de portable, c’est toute la civilisation qui s’écroule. Un simple signal, « l’impulsion », diffusé par tous les téléphones mobiles de la planète (il y en a 195 millions rien qu’aux States), attaque directement le cerveau de leurs utilisateurs et les transforme en bêtes fauves. Gros bug en perspective. Acte terroriste ou expérience scientifique qui tourne mal ? Qu’importe, c’est déjà l’apocalypse et les derniers normaux (par opposition aux phone-crazies, les « siphonnés » en VF) tentent de s’organiser pour survivre dans un monde qui ne leur appartient plus. « Avez-vous vu ce film, L’Armée des morts », demande l’un d’eux ? Cellulaire est justement dédié à George Romero (et incidemment à Richard Matheson, l’auteur de Je suis une légende), dont il emprunte le discours critique. Pour autant, on aurait tort d’y chercher à tout prix un manifeste politique moquant les cauchemars d’une Amérique post 11/9, consumériste à mort et détruite par ses propres icônes. Même si les critiques contre l’administration Bush ne manquent pas (« Où est la Garde nationale ? », demande un survivant ; « En Irak », lui répond un autre. « C’était si peu une plaisanterie que Tom ne sourit pas »), King est encore suffisamment lucide sur l’état du monde pour rester dans le camps des humains face aux hordes de morts-vivants, auxquels Romero a pour sa part, hélas, définitivement abandonné le pays (Land of the dead). L’auteur de Carrie et de Shining conserve assez d’espoir et de foi dans l’action de ses compatriotes pour ne pas en être réduit à leur préférer le voisinage des zombies. « Et devant eux, directement devant eux, des milliers de siphonnés s’étaient agenouillés comme des musulmans en prière. Et lorsqu’ils s’allongèrent, ce fut simultanément dans un bruit semblable à un grand soupir, produisant un déplacement d’air qui envoya les sacs vides et les coupes en carton aplatis tourbillonner en l’air. Dodo pour l’armée des ratatinés du bulbe ».
Pour son grand retour (la rumeur le disait à la retraite, après l’accident qui a failli lui coûter la vie en 1999, sans compter une dégénérescence maculaire de l’oeil qui le rend progressivement aveugle), King ne déçoit pas. Cellulaire n’est rien d’autre qu’une formidable petite série B, ultra rapide, classique et diaboliquement efficace, dont Eli Roth, la nouvelle coqueluche du cinéma d’horreur hollywoodien (Cabin fever et Hostel), s’est empressé d’acheter les droits pour son prochain film. Comme d’habitude, les grincheux ne manqueront pas de s’épancher sur l’extrême banalité du style. Quand bien même ils ont raison, on s’en fiche : King n’a jamais fait dans la littérature. Ça ne l’empêche pourtant pas d’être le plus grand écrivain américain de ce côté-ci, parmi les vivants.