Après avoir parcouru l’histoire des révolutions de palais du demi-siècle en train de s’écouler, et avoir fait un retour en arrière sur l’année 1958 et la quatrième République mourante, Stéphane Denis dévoile le troisième volet de son Histoire de France. L’année 1978 et la cinquième République sont ici à l’honneur. N’en doutons pas, Madame est morte se place parmi les romans les plus intéressants du moment. Le travail du romancier tient à la fois d’Aragon, pour la fresque, et de Drieu la Rochelle, pour les portraits. Le récit mêle avec habileté personnages imaginaires et figures publiques réelles. Giscard, Mitterrand, et même un certain Maurice Papon apparaissent sous des noms d’emprunt.
Le propos n’est pas de plaquer une trame romancée sur une toile de fond froidement documentaire. Tout au contraire, la réalité et la fiction sont ici intimement liées, donnant au Président de la République et à ses ministres une épaisseur romanesque authentique. Le résultat n’est nullement en porte-à-faux avec la vraisemblance. Nombre de situations et de dialogues développés par Stéphane Denis ne sont certes pas des témoignages patiemment retranscris. Mais ces morceaux purement littéraires sont de ceux permettant aux écrivains talentueux de saisir une vérité grâce aux illusions qu’ils ont crées de toute pièce.
Le trait n’est jamais forcé, ce qui n’empêche pas l’ironie de pointer derrière la plupart des portraits – tel celui d’Ophélie, alter ego romanesque de Giscard, en quête perpétuelle de « vrais ancêtres ». Le romancier use parfois de tendresse et souvent de cruauté envers ceux qui hantaient les succursales du pouvoir. Il nous livre avec un mélange de distance et de nostalgie les derniers soubresauts du déclin de la vieille aristocratie française. Le comte de Paris se prend les pieds dans le tapi des tractations immobilières, les douairières meurent les unes après les autres, alors qu’arrive le règne des sondages et des politologues…
Madame est morte est à déguster avec patience et application, chaque personnage, chaque situation constituant l’une des multiples clefs de ce vaste roman.
Nicolas Vey