Les millénaires n’existent pas ! Le décompte du temps n’est qu’une invention humaine, une convention établie, parce qu’il faut bien comptabiliser le temps qui passe. Dès lors, le caractère sacré du passage au troisième millénaire s’évanouit. La mise en questionnement intervient au cœur d’une époque qui se tourne obstinément vers le futur à défaut de s’inventer un présent.
François L’Yvonnet a rassemblé les pensées de neuf philosophes, sociologues, essayistes et historiens, de François Angelier à Jacques Lacarrière, en passant par Thierry Gaudin et Henry Corbin, « pour réviser les spécialisations des discours de notre époque ». « Dans le cadre d’ouvrages précédents, j’avais été amené à travailler avec les uns et les autres », explique François L’Yvonnet. « Je trouvais que leurs pensées étaient somme toute assez proches, bien que s’exprimant dans des styles différents. Surtout, elles n’entrent pas dans le cadre d’une réflexion traditionnelle et s’imposent comme atypiques. » Professeur de philosophie, François L’Yvonnet s’est toujours intéressé aux œuvres et aux pensées inclassables, celles que l’on n’étudie jamais, sinon sous des aspects circonscrits. « Bataille ou Corbin sont ainsi négligés. Or ce sont des pensées novatrices, des pensées à la fois du mouvement et en mouvement. Mais notre époque préfère le cloisonnement du rationalisme. La pensée spécialisée triomphe, mais c’est une pensée qui ne peut pas penser la crise ! »
Un malaise dans la pensée ? Le constat est sans concession : « Nous sommes dans un hors temps », décrète François L’Yvonnet. Et les choses se compliquent dans le rapport au présent, dans le défaut de prise sur le temps tel que le dénonce Pierre Chaunu, membre de l’Institut, qui construit une réflexion élargie à partir de l’analyse implacable de la démographie mondiale. Penser le présent s’impose comme une nécessité : « Vivre au présent, donc (…), mais non pas vivre dans l’instant », précise le philosophe André Comte-Sponville, qui insiste sur la transformation de notre rapport à l’avenir, « en faire un rapport non plus de manque, d’impuissance ou d’ignorance, mais, au contraire, un rapport de jouissance, de puissance et de connaissance. » Pour Jacques Lacarrière, l’exploration de l’homme reste encore à faire. « Le programme des temps à venir est l’homme en tant que complexité », résume François L’Yvonnet. « Le point commun de tous ces penseurs est qu’ils tendent vers le retour à l’homme, la découverte du complexe, des ponts et des passages entre les savoirs. »
Un recueil de pensées qui jaillissent dans le même sens mais sous des formes d’expression différentes, un livre aux intelligences mêlées, à la fois condensé de réflexions et terreau fertile où ancrer son propre raisonnement : D’un millénaire à l’autre illustre l’état présent des pensées philosophiques contemporaines, qui, bien entendu, accompagneront sans décalage horaire le nouveau siècle. Bien que la matière du livre de François L’Yvonnet soit exigeante, on ne décroche pas de sa lecture. Actes de colloques, entretiens ou essais, les interventions des auteurs alternent, déclinées sous des formes différentes. Les textes sont suffisamment longs pour que s’y développent intelligiblement des pensées parfois complexes, assez courts pour ne pas noyer le lecteur et lui permettre une réflexion « boomerang ». Un ouvrage dont on termine la lecture avec l’impression d’être un tout petit peu plus intelligents, sinon profonds. C’est assez rare pour le souligner.