Un paysage sec, aride et froid entoure l’église d’Aplum et, non loin de là, la petite île de Grimön balayée par les vents. Joël et Thala Elversson doivent accepter le retour inattendu de leur fils Sven, qu’ils n’ont pas vu depuis au moins deux décennies. Sven a été élevé par un couple d’Anglais, ses parents biologiques ayant choisi de lui faire donner une éducation moins rustre que celle qu’ils lui auraient prodiguée dans cette contrée suédoise au climat septentrional. Ils n’auraient jamais dû le revoir. Mais à la suite du désastre d’une expédition à laquelle il vient de participer, il n’a plus le choix, il doit à jamais se cacher. Il a commis l’irréparable, comme tous les rescapés de cet enfer : il a mangé de la chair humaine pour sauver la sienne. Seule Sigrun, la femme du pasteur, se heurtant elle aussi à un mur d’incompréhension, saura le regarder autrement.
Le récit est à la fois glaçant et déchirant. Tout le talent de Selma Lagerlöf, toute son intelligence est mis au service d’une certaine idée qu’elle se fait de l’humanité. La rudesse, l’âpreté d’une société endurcie par l’hostilité climatique, géographique, rocailleuse du pays, le recours quasi indispensable à une religiosité de tous les instants que l’on s’impose afin de ne pas s’égarer font de sa population des monstres d’intolérance et des victimes de leur propre ignorance. Sven et Sigrun, chacun de leur côté, tournent le dos à la fatalité. Le premier, en acceptant d’être rejeté et de vivre comme un banni, la seconde, en défiant un destin balisé. Le fier silence de Sven et de Lotta se mêle à la violence d’Edvard et Sigrun. Le doute s’installe dans les esprits, le trouble est toujours sur le point de naître. Le merveilleux vient de la richesse intérieure des héros de Selma Lagerlöf. L’auteur semble avoir écrit dans la douleur et la passion, avec le souci manifeste de tout dire. Ses personnages continuent à vivre au-delà de ses indications, et il n’est pas rare pour le lecteur de ressentir la nécessité de les laisser respirer, de les entendre crier leur rage. L’inspiration naît de la force des sentiments décrits, l’imagination galope, la région du Värmland s’ouvre à nous et l’émotion fait le reste.