La Patagonie, ses espaces immenses, les moutons, le vent, la poussière : pour ce roman âpre et brutal, Sandrine Collette s’installe dans un bout du monde hostile. En cette première moitié de XXe siècle, on assiste à la fin des petits propriétaires terriens. Dans une estancia qui se meurt subsiste une famille silencieuse : la mère, ses quatre enfants. Le père a disparu, eux survivent tant bien que mal dans ce que les voisins ou les saisonniers appellent « l’enfer sur terre ».
Cet enfer, c’est en partie la mère qui l’a construit, avec rage, hargne, violence, aidée par ses quatre enfants qu’elle considère comme des paires de bras pour faire tourner le domaine. « Elle les déteste tout le temps, tous. Mais ça aussi c’est la vie, elle n’a pas eu le choix. Maintenant qu’ils sont là. Parfois, elle se dit qu’elle aurait dû les noyer à la naissance ; mais voilà, il faut le faire tout de suite. Après c’est trop tard. Ce n’est pas qu’on s’attache : il n’est plus temps, c’est tout ». Elle ne parle pas, la mère. Elle crache, interrompt, coupe, ordonne, beugle. Boit sec. Claque ses quelques sous au jeu, les soirs de descente en ville. Elle régente son petit univers. Trois chiens (Un, Deux, Trois), des chevaux, des moutons, quelques bovins pas encore vendus, et les quatre garçons. Les jumeaux aînés, Mauro, force de la nature, et Joaquin, ligués contre le reste du monde. Steban, le débile (disent les autres), qui ne parle pas. Rafaël, le souffre-douleur, né après le départ du père. Pas d’amour, pas d’affection, rien que la folie et des alliances de circonstances. « Les quatre fils portent les stigmates d’une existence rongée par la fatigue – la leur, mais aussi celle des bêtes et de la terre ».
Dans ce monde gris où règnent le vent, la poussière et le sable, Sandrine Collette monte un huis-clos étouffant. Cette famille qu’elle invente, c’est l’absence d’espoir, l’enfermement, la soumission. « Votre vie, c’est comme je décide », dit la mère, enfermant ses fils dans le nœud pervers qu’elle s’est construit. Pas d’affection, des joies mauvaises, l’aigreur, la rancœur, l’avarice. Puis subitement, les choses se délitent. La mère perd Joaquin au jeu ; le couple des jumeaux se brise. Rafaël laisse échapper les chevaux et quitte la ferme, goûtant la liberté. Le récit se cristallise autour de lui, ce petit dernier pas si innocent (difficile, dans ce contexte), mais avec quelque chose de la fraîcheur de l’enfance, de ses attentes, une joie ancrée quelque part au fond et qui ne s’éteint pas. L’écriture ne laisse guère de place au sentimentalisme, à l’apitoiement. Des faits bruts, peu de dialogues (pas grand-chose à se dire, sinon les ordres aboyés, les menaces, les insultes) ; en parallèle, minutieux, le portrait du quotidien. Mais la figure de l’enfant, son amour pour ses chiens, son cheval, les moutons, le rire qu’il réprime parfois, ses courses dans la plaine, signalent l’appel de liberté, incontrôlable.
Il reste la poussière, avec son univers clos, oppresse. Sandrine Collette n’en retire pas tout espoir, mais la route vers la rédemption promet d’être longue. Alternant les voix de la mère et des frères, sa galerie de portraits s’avère saisissante, pour un tableau fataliste et noir, entre western et tragédie.
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