Rosa Montero se révèle toujours une véritable raconteuse d’histoires, et ces Instructions pour sauver le monde ne démentent pas la règle. Dans une Madrid tentaculaire, toute en clair-obscur, se mêlent des individus égarés. Matias, chauffeur de taxi, veuf. A priori un brave type, mais détruit par la mort de sa femme, réduit à la seule expression de sa souffrance. Incapable de penser à autre chose qu’à la vengeance. Car il y a eu à un moment un médecin, peut-être négligent. Ce médecin, Daniel. Tous les idéaux de sa jeunesse envolé. Coincé au domicile avec une femme acariâtre. Contraint de trouver un autre souffle dans Second Life. Inapte à exercer correctement son métier, qui ne l’intéresse plus. Il y a aussi Fatma, sublime prostituée africaine, et son lézard fétiche. Ou « Cerveau », qui chaque soir enchaîne verre sur verre dans un bar de no man’s land, capable de raconter d’incroyables histoires, de celles qui rendent les sciences les plus pures si proches. Et puis Draco, Rashid, Luzbella. Tous avec leur passé, que Montero nous livre, qui les fait vivre, pour le meilleur mais aussi pour le pire.
Car il s’agit de sauver le monde. Au moins un petit morceau de monde, qui semble au départ mal parti. Les personnages de Montero sont mus par leurs souffrances, la malchance, leur solitude, leurs misères et leurs deuils. Quant à savoir s’ils veulent être sauvés… Ce sont les hasards, les rencontres, d’incontrôlables aléas qui les réunissent, puis progressivement les poussent vers quelque chose d’un peu meilleur, à même de les extraire de leurs malheurs. Peu à peu affleurent des bribes d’humanité. Selon certaines théories, que relate « Cerveau », elles peuvent suffire : « Si nous commettons des actes malveillants, nous envenimons le monde. Et si nous faisons quelque chose de bon, nous contribuons à l’améliorer et le racheter, quand bien même l’acte bon que nous aurions réalisé serait anodin, quand bien même personne ne le connaîtrait ni ne pourrait jamais le connaître, quand bien même nous l’aurions accompli dans une entière solitude et qu’il soit apparemment dépourvu de conséquences. Les faits ont un poids et laissent par eux-mêmes une empreinte, et chaque individu influe sur la totalité ».
Montero a ce talent d’échapper à l’écueil d’un récit simpliste, de ne pas sombrer dans l’étalage de bons sentiments. Bien sûr, tout se termine pas trop mal. Mieux en tous cas que ne le laissaient présager les choses au départ. Mais à aucun moment on ne sombre dans le moralisme, qui aurait été si facile ici. Les personnages sont trop présents pour permettre un quelconque manichéisme Le happy end garde une certaine réserve. Et en exergue, la parole donnée à Shlomit Levin, grand-mère d’Amos Oz, annonçait la couleur : « Si tu n’as plus de larmes, ne pleure pas, ris ».