C’est en compagnie de son ami l’écrivain Madison Smart Bell que Robert Stone a trouvé la matière de ce septième roman : en parcourant Haïti, son histoire, ses traditions, ses mélanges, ses couleurs, ses troubles, il s’est imbibé d’une réalité brutale, celle d’îles auxquelles on ne s’intéresse généralement que quand un drame les ramène sur le devant de la scène. Celle de Stone s’appelle Sainte-Trinité et n’existe que dans son imaginaire, mais elle fait écho à toutes ses jumelles des Caraïbes. Malgré ce décor paradisiaque, Stone a parfois du mal à immerger le lecteur dans le texte. Michael, son piteux héros, est souvent trop naïf pour être crédible ; les évènements, même s’ils sont proches de la réalité, laissent un goût de « mal fini » qui donne au roman de vraies lourdeurs et ne lui permet pas de convaincre complètement. Comme si, à force de trop rêver, l’auteur lui-même finissait par se perdre.
Il faut dire que le récit de Stone est un véritable tourbillon, oscillant entre deux mondes à la fois proches et profondément incompatibles. Dans sa fac perdue du Middle West, Michael mène une vie tranquille de professeur de littérature avec sa femme, la froide et solide Kristin, leur fils Paul, leur maison, leurs amis. Rien de très original dans cette existence installée, jusqu’à ce jour où tout bascule. Hasard ou destin, Paul échappe à la mort : Michael perd la foi pour ne plus croire qu’en une humanité impuissante. Il s’éloigne peu à peu de l’univers qu’il s’était créé ; son couple devient un nœud d’incompréhension et de non-dits, une brume s’installe qui noie tout dans la douleur et l’alcool. Et quand surgit Lara Purcell, professeur de géopolitique du monde caraïbe à la réputation sulfureuse, Michael perd totalement pied. C’est ainsi qu’il se retrouve sur cette île de Sainte-Trinité où gronde la guerre, où les populations s’agitent, et où lui n’a rien à faire sinon attendre la mystérieuse Lara. Entre deux cérémonies vaudoues, Michael plonge dans les profondeurs marines, noyé sous des enjeux qui le dépassent, tout près de ce rivage corallien qui emprisonne ses morts. Il retrouvera pourtant son univers, sa vie définitivement bouleversée. Dans un monde trop terne, il reprendra le chemin de l’université avec, comme un mirage, ce souvenir d’heures fébriles, d’un pays hors du monde avec ses idéalistes, ses opportunistes, sa violence et sa corruption. Un bouleversement intérieur dont il ne peut revenir.